Municipales : les nouveaux résidents changent l’élection, par Jean-Laurent Cassely
L’installation en province d’une population souvent parisienne pourrait influer sur le scrutin de mars prochain.
De l’avis général, les élections municipales, dont le premier tour aura lieu dans moins d’un mois, devraient voir le clivage gauche-droite prendre sa revanche, car ni le parti présidentiel ni celui de Marine Le Pen n’y sont particulièrement à l’aise. Dans l’ombre de ce match entre les vieux partis, un autre affrontement se prépare : celui qui oppose les habitants de longue date des communes aux électeurs nouvellement installés. Dans un livre (1) traduit en français à la fin de l’année dernière et qui a fait grand bruit dans le Royaume-Uni d’après-Brexit, l’essayiste David Goodhart a décrit l’opposition entre deux clans aux modes de vie, aux valeurs et au rapport au monde antagonistes : les Anywhere (« ceux qui sont de partout ») et les Somewhere (« ceux qui sont de quelque part »). Les premiers sont les citoyens éduqués et mobiles dont raffolent les partis progressistes et libéraux, tandis que les seconds, moins diplômés, plus attachés au lieu qui les a vus naître et à leur communauté d’origine, forment la base du vote populiste. Les Anywhere et les Somewhere correspondent à notre clivage entre « France ouverte des métropoles » et « France fermée et périphérique ». Mais qu’advient-il de ce partage schématique du territoire lorsque les individus viennent à changer de lieu de résidence ?
A Bordeaux, 42 % du corps électoral !
S’il est une ville laboratoire de cette recomposition socioterritoriale, c’est bien Bordeaux. Dix ans de palmarès des métropoles régionales où il fait bon vivre n’ont pas été sans effet sur le peuplement de la capitale de la région Nouvelle-Aquitaine, star incontestée de ces classements récurrents. Le journal Sud Ouest a ainsi calculé que les nouveaux inscrits appelés à voter en mars prochain représentent 42 % du corps électoral (2). Et l’on suspecte fortement les cadres supérieurs parisiens de se cacher derrière cette impressionnante statistique… Or on ne sait pas vers quel candidat les Anywhere néo-bordelais feront pencher la balance. Comme l’a avancé Vincent Tiberj, professeur à Sciences po Bordeaux, dans les colonnes du quotidien régional, les plus jeunes d’entre eux pourraient être tentés par le candidat écologiste et d’union de la gauche Pierre Hurmic. Les actifs diplômés plus âgés, quant à eux, pourraient se tourner vers Thomas Cazenave, candidat La République en marche, qui correspond bien aux valeurs des Anywhere.
A Marseille, les nouveaux arrivants se sont installés par rames de TGV entières depuis les années 2000. Leur poids symbolique est tel que, en 2017, une étude les a rendus responsables de la disparition de l’accent marseillais, dilué dans un « français standard » sous l’effet de la gentrification de certains quartiers (3) ! La liste citoyenne et de gauche du Printemps marseillais a investi des candidats qui, pour certains, ne sont pas affiliés à un parti politique : si tous ne sont pas des néo-Marseillais, il est évident que les nouveaux venus sont d’autant plus attirés par cette promesse de renouvellement, de coup de balai dans le système en place, qu’ils ne sont pas le jouet des appareils locaux et des dérives clientélistes qui en découlent parfois.
Les néoruraux cibles de campagne
La question des habitants mobiles, secondaires, intermittents ou récemment installés ne se limite pas aux grandes villes.
Les communes rurales, le littoral et les zones de montagne voient également arriver de nouveaux inscrits qui sont parfois assez nombreux pour monter des listes et remporter la mairie.
Les néoruraux deviennent alors les nouveaux référents du village. Très scruté par les médias, le cas du village de Saillans, dans la Drôme, qui a élu une liste participative d’habitants sans étiquette en 2014, illustre un mélange harmonieux entre anciens et nouveaux villageois. Encore qu’une telle expérience de démocratie directe séduit plutôt les néoruraux diplômés que les Somewhere habitants du cru. Dans les régions les plus convoitées, la cohabitation entre anciens et nouveaux peut toutefois poser quelques problèmes politiques. Airbnb ou les acheteurs ayant revendu à prix d’or un logement en région parisienne entrent en concurrence avec les habitants anciennement installés, leurs enfants ou les travailleurs saisonniers qui luttent eux aussi pour la conquête des bonnes places. Engagée dans les élections, la population des Anywhere devient alors le sujet de la campagne… et le bouc émissaire électoral idéal au service des listes concurrentes. (1) David Goodhart, Les Deux Clans. La nouvelle fracture mondiale (Les Arènes, 2019). (2) Sud Ouest, 11 février 2020. (3) « Marseille. Entre gentrification et ségrégation langagière », dans Langage et société, n° 162 (éd. de la Maison des sciences de l’homme, 2017). Jean-Laurent Cassely, journaliste et essayiste, spécialiste de la nouvelle société de consommation.