Des détenus pour les gros chantiers de la capitale
Les futures lignes de métro et les Jeux olympiques de 2024 manquent de maind’oeuvre. Ils en trouvent dans les prisons.
Dans les salons feutrés de la Société du Grand Paris, à Saint-Denis, l’idée est d’abord passée pour une lubie, avant de s’imposer comme une évidence. Pourquoi ne pas profiter de l’appel d’air généré par la multiplication de chantiers pharaoniques dans la capitale et ses abords pour ramener vers l’emploi des personnes dites « sous main de justice », c’est-à-dire incarcérées ou bénéficiant d’un aménagement de peine ? Une bonne manière de faire d’une pierre deux coups : conjuguer innovation sociale et réponse à la pénurie de main-d’oeuvre qui se profile dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) francilien.
Ce plan est celui d’Alexandre Missoffe, 45 ans, désormais à la tête de Paris Ile-deFrance capitale économique, la structure qui rassemble les acteurs du Grand Paris. Trois années auront été nécessaires pour que son dessein prenne enfin forme. Il était temps : « De nombreux métiers vont être en tension quand tous les projets seront engagés, prévient le directeur général. Le pic d’activité est prévu entre 2022 et 2024. »
Pour les spécialistes de la réinsertion des condamnés, les chantiers du Grand Paris ainsi que ceux des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 offrent aussi une occasion de faire baisser le taux de récidive.
« Faute de retrouver une vie stable et un emploi, 59 % des personnes sortant de prison font l’objet d’une nouvelle condamnation dans les cinq années suivant leur libération », rappelle la députée LREM des Yvelines Yaël Braun-Pivet, coauteure d’un rapport parlementaire sur le sujet.
En France, seuls 29 % des détenus ont accès à un travail derrière les barreaux – un chiffre qui décline ces dernières années, hausse de la population carcérale oblige. « Pourtant, le travail est essentiel pour eux, insiste Thibault Guilluy, directeur de l’association de réinsertion Ares. Cela permet à la fois de résoudre le problème de l’extrême pauvreté en prison, d’indemniser les victimes et de préparer la sortie. » Ses équipes accompagnent actuellement 179 personnes en parcours pénal, et lui-même se félicite de la mobilisation des acteurs du Grand Paris.
Grâce à la signature de contrats dont les clauses sociales prévoient qu’au moins 5 % des heures travaillées soient réservées à des publics éloignés de l’emploi (personnes en situation de handicap, migrants, mères isolées…), une trentaine de condamnés sont actuellement déployés sur le futur réseau de transport du Grand Paris Express. Essentiellement des hommes, âgés de 30 à 40 ans. « Notre critère de recrutement, c’est qu’ils manifestent le souhait d’évoluer : les opportunités qui se présentent dans le BTP sont évidemment très porteuses, cela peut déboucher sur un vrai retour à la stabilité », explique Mathilde Karmin, chargée de développement chez Ares.
Si Bouygues, Eiffage ou Vinci ignorent tout des CV de leurs recrues, les équipes d’Ares, en revanche, sont spécialement formées pour suivre les problématiques d’addiction ou de décompensation psychologique. Accompagnés dans un parcours d’insertion qui s’étale sur deux ans, les détenus sont payés au smic. Presque tous ont validé leur période d’essai. Employés comme « ouvriers polyvalents du bâtiment » – généralement chargés du débarras des gravats, de la gestion des bennes de déchets, du surtri et du transport des matériaux dans les étages –, ils bénéficient d’une formation certifiante. « Des ponts se font, certains sont repérés sur des chantiers, cela éveille des vocations », constate Mathilde Karmin.
Les opportunités, sur les sites du Grand Paris Express – qui comptera quelque 200 kilomètres de lignes de métro et 68 gares –, ne manqueront pas : les derniers chantiers ne devraient pas se terminer avant 2030. De son côté, la Solideo, qui assurera la supervision de 39 projets d’infrastructures pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024, a déjà présenté une charte d’insertion encore plus ambitieuse. Ses responsables ont récemment rencontré Albin Heuman, directeur de l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice, rattachée à la garde des Sceaux, pour faire le point sur les besoins en main-d’oeuvre des futurs villages olympiques. « Le Grand Paris, les JO, ou même le Tour de France, qui emploient régulièrement des manutentionnaires condamnés en voie de réinsertion, bénéficient de retombées médiatiques énormes, souligne Albin Heuman. C’est valorisant pour des personnes en réinsertion, plutôt jeunes. Ces chantiers contribuent à changer l’image du travail des détenus. »