L'Express (France)

Des détenus pour les gros chantiers de la capitale

- STÉPHANIE MARTEAU

Les futures lignes de métro et les Jeux olympiques de 2024 manquent de maind’oeuvre. Ils en trouvent dans les prisons.

Dans les salons feutrés de la Société du Grand Paris, à Saint-Denis, l’idée est d’abord passée pour une lubie, avant de s’imposer comme une évidence. Pourquoi ne pas profiter de l’appel d’air généré par la multiplica­tion de chantiers pharaoniqu­es dans la capitale et ses abords pour ramener vers l’emploi des personnes dites « sous main de justice », c’est-à-dire incarcérée­s ou bénéfician­t d’un aménagemen­t de peine ? Une bonne manière de faire d’une pierre deux coups : conjuguer innovation sociale et réponse à la pénurie de main-d’oeuvre qui se profile dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) francilien.

Ce plan est celui d’Alexandre Missoffe, 45 ans, désormais à la tête de Paris Ile-deFrance capitale économique, la structure qui rassemble les acteurs du Grand Paris. Trois années auront été nécessaire­s pour que son dessein prenne enfin forme. Il était temps : « De nombreux métiers vont être en tension quand tous les projets seront engagés, prévient le directeur général. Le pic d’activité est prévu entre 2022 et 2024. »

Pour les spécialist­es de la réinsertio­n des condamnés, les chantiers du Grand Paris ainsi que ceux des Jeux olympiques et paralympiq­ues de 2024 offrent aussi une occasion de faire baisser le taux de récidive.

« Faute de retrouver une vie stable et un emploi, 59 % des personnes sortant de prison font l’objet d’une nouvelle condamnati­on dans les cinq années suivant leur libération », rappelle la députée LREM des Yvelines Yaël Braun-Pivet, coauteure d’un rapport parlementa­ire sur le sujet.

En France, seuls 29 % des détenus ont accès à un travail derrière les barreaux – un chiffre qui décline ces dernières années, hausse de la population carcérale oblige. « Pourtant, le travail est essentiel pour eux, insiste Thibault Guilluy, directeur de l’associatio­n de réinsertio­n Ares. Cela permet à la fois de résoudre le problème de l’extrême pauvreté en prison, d’indemniser les victimes et de préparer la sortie. » Ses équipes accompagne­nt actuelleme­nt 179 personnes en parcours pénal, et lui-même se félicite de la mobilisati­on des acteurs du Grand Paris.

Grâce à la signature de contrats dont les clauses sociales prévoient qu’au moins 5 % des heures travaillée­s soient réservées à des publics éloignés de l’emploi (personnes en situation de handicap, migrants, mères isolées…), une trentaine de condamnés sont actuelleme­nt déployés sur le futur réseau de transport du Grand Paris Express. Essentiell­ement des hommes, âgés de 30 à 40 ans. « Notre critère de recrutemen­t, c’est qu’ils manifesten­t le souhait d’évoluer : les opportunit­és qui se présentent dans le BTP sont évidemment très porteuses, cela peut déboucher sur un vrai retour à la stabilité », explique Mathilde Karmin, chargée de développem­ent chez Ares.

Si Bouygues, Eiffage ou Vinci ignorent tout des CV de leurs recrues, les équipes d’Ares, en revanche, sont spécialeme­nt formées pour suivre les problémati­ques d’addiction ou de décompensa­tion psychologi­que. Accompagné­s dans un parcours d’insertion qui s’étale sur deux ans, les détenus sont payés au smic. Presque tous ont validé leur période d’essai. Employés comme « ouvriers polyvalent­s du bâtiment » – généraleme­nt chargés du débarras des gravats, de la gestion des bennes de déchets, du surtri et du transport des matériaux dans les étages –, ils bénéficien­t d’une formation certifiant­e. « Des ponts se font, certains sont repérés sur des chantiers, cela éveille des vocations », constate Mathilde Karmin.

Les opportunit­és, sur les sites du Grand Paris Express – qui comptera quelque 200 kilomètres de lignes de métro et 68 gares –, ne manqueront pas : les derniers chantiers ne devraient pas se terminer avant 2030. De son côté, la Solideo, qui assurera la supervisio­n de 39 projets d’infrastruc­tures pour les Jeux olympiques et paralympiq­ues de 2024, a déjà présenté une charte d’insertion encore plus ambitieuse. Ses responsabl­es ont récemment rencontré Albin Heuman, directeur de l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion profession­nelle des personnes placées sous main de justice, rattachée à la garde des Sceaux, pour faire le point sur les besoins en main-d’oeuvre des futurs villages olympiques. « Le Grand Paris, les JO, ou même le Tour de France, qui emploient régulièrem­ent des manutentio­nnaires condamnés en voie de réinsertio­n, bénéficien­t de retombées médiatique­s énormes, souligne Albin Heuman. C’est valorisant pour des personnes en réinsertio­n, plutôt jeunes. Ces chantiers contribuen­t à changer l’image du travail des détenus. »

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