La République des amateurs et des collaborateurs, par Emmanuelle Mignon
Il est fort singulier de se demander si la politique est un métier ou un hobby. Car elle n’est ni l’un ni l’autre.
La politique n’est pas un métier parce qu’elle est une vocation. Elle implique un engagement total de la personne, le sacrifice de sa vie personnelle à l’exercice des responsabilités et, de nos jours, le décloisonnement entre vie publique et vie privée. Elle suppose une énergie, une volonté, une passion qu’aucun métier ne requiert dans de telles proportions. C’est ce qui explique son exercice durable, comme pour Mitterrand ou Chirac, ou précoce, comme pour Sarkozy ou Macron, tout en laissant sa part au destin comme pour de Gaulle. C’est aussi ce qui la rend si exigeante et si coûteuse pour les entourages. La politique n’est pas non plus une pratique d’amateur, parce qu’elle exige du talent et de la compétence. Allez dire à Rostropovitch ou à Rubinstein que le talent n’a pas besoin de travail et d’expérience ! En politique, ce précipité entre la prédisposition et le savoir-faire s’appelle le « sens politique ». Un art de flairer la direction du vent et de flatter l’électeur ? Certainement pas. Mais un art de transformer les attentes du peuple en énergie pour la nation selon les exigences du moment.
Un tel art se cultive et se renforce dans l’expérience des échecs et des succès, à condition de ne pas perdre de vue sa raison d’être, qui est de tirer la nation vers le haut, faute de quoi il devient en effet un professionnalisme à petites ambitions et à petits résultats. Quand je travaillais auprès de Nicolas Sarkozy, j’ai vu des dizaines d’économistes, d’intellectuels, de grands patrons qui avaient de grandes ambitions pour la France, mais aucune compréhension des contraintes politiques. A l’inverse, j’ai vu des dizaines de responsables politiques dont la seule ambition était de gagner l’élection suivante. En réalité, il faut tenir les deux bouts sans faire du sur-place. Pas vraiment un truc d’amateur.
Dédain sous-jacent
Emmanuel Macron, qui est l’enfant prodige de la ve République, sait parfaitement tout cela. Quand il dit aux parlementaires de sa majorité : « Si les professionnels, ce sont ceux qu’on a virés il y a deux ans et demi, et que les amateurs, c’est vous, alors soyez fiers d’être amateurs », sa phrase est polysémique. Ses amateurs de parlementaires ont applaudi le bon mot. Ils n’ont pas perçu le dédain sous-jacent. Le président apprécie l’amateurisme des parlementaires de sa majorité, comme Nicolas Sarkozy appréciait que son Premier ministre soit son collaborateur. Formaté, à son corps défendant, par Sciences po, l’ENA et l’Inspection générale des finances, Macron veut un Parlement godillot pour pouvoir faire ses réformes sans frein, sans débat, sans contestation. Sa conception du pouvoir a au moins le mérite d’être claire, et la manière dont il l’a conquis lui en a assuré une certaine mise en oeuvre. Du collaborateur aux amateurs, le drame de la Ve République est tout entier dans l’addition des deux formules. Les pouvoirs du président sont la force du régime de 1958 contre les errements de la IVe qui terrorisent encore ceux qui l’ont connue. Mais ils sont aussi sa faiblesse, favorisant les phénomènes de cour et l’isolement du pouvoir. Perçu comme un homme qui peut tout, dans un contexte où un nombre croissant de sujets dépendent de l’Europe ou de l’international, le président est condamné à focaliser le rejet de tous les mécontents, et ne peut être réélu, sauf à installer la croyance qu’il est la seule alternative aux extrêmes, ce qui est délétère. Depuis la naissance de la Ve République, aucun président n’a jamais été élu deux fois au suffrage universel direct sans l’alternance d’une cohabitation.
Dans l’impasse
Certains prédécesseurs d’Emmanuel Macron ont essayé de renforcer les pouvoirs du Parlement. Ils se sont heurtés à l’impossibilité de rééquilibrer réellement les institutions de la Ve sans prendre le risque d’un blocage de celles-ci à l’américaine ou favoriser le retour à un régime parlementaire classique, conduit par le Premier ministre, ce qui serait sans doute plus raisonnable, mais autodétruirait la fonction présidentielle. C’est une impasse. C’est donc dans l’amélioration des pratiques du pouvoir qu’il faut trouver les solutions pour un gouvernement efficace, mais moins irréaliste dans ses promesses, moins arrogant dans ses méthodes, plus inclusif dans ses réalisations et plus adapté à la dimension mondiale des enjeux et des moyens d’action. Pour que la politique redevienne ce qu’elle est : l’envie et le pouvoir de changer le réel.