Ségolène Royal : libérée, désirée ?
L’ancienne candidate socialiste court vers une nouvelle – et hasardeuse – aventure présidentielle avec un franc-parler presque sans limite. Confidences.
« Si j’étais à la place de Macron, la France irait mieux »
L’unanimisme ? Merci, mais pas pour elle. Le 14 février, Benjamin Griveaux est à terre, frappé par la publication sur Internet de plusieurs vidéos intimes. La classe politique se répand en réactions scandalisées sur cette atteinte inédite à la vie privée. Au téléphone, Ségolène Royal ne s’embarrasse pas de fausse commisération. « Il y en a marre des concours de quéquettes ! » laissetelle échapper dans un éclat de rire dont on ne sait s’il trahit gêne ou amusement face à la trivialité de l’affaire. Sans doute un mélange des deux. « On ne fait pas ça, surtout quand on tient des discours sur la famille et que l’on met ses enfants en avant, poursuitelle. Le temps des femmes est venu. Avec nous, il n’y a pas ce genre de problèmes. »
Verbe sans filtre, ambition intacte. « Libérée, délivrée… », entonne une amie de l’intéressée sur l’air de la Reine des Neiges pour commenter la création de Désirs de France, le laboratoire d’idées et presque parti politique qu’elle vient de lancer. Une université populaire au Sénat autour de « l’urgence démocratique et écologique » le 28 février, un livre en librairie le 4 mars pour explorer les liens entre violence climatique et violence politique : l’ancienne ministre trace sa route vers 2022. Le titre de son ouvrage, Résilience française (éd. de l’Observatoire), est en luimême un autoportrait. « J’ai réfléchi en 2017, confietelle. Mes enfants sont élevés, je suis libre. Je me suis dit : qu’estce que je fais ? Pourquoi ne pas créer une entreprise, reprendre la robe d’avocat ? » Malgré ses aventures présidentielles malheureuses, Ségolène Royal est habitée par la certitude tenace d’avoir eu raison avant tout le monde. « Si j’avais eu Facebook en 2007, j’aurais été élue, ditelle sur le ton de l’évidence. J’aurais eu une capacité de riposte beaucoup plus rapide. » Elle rédige désormais ellemême ses posts, toujours prête à suivre ses intuitions. L’« instagramisation » de la société la fascine. Elle voit ce qu’elle charrie d’humiliations symboliques, en rendant visibles « des gouffres de niveau de vie ». Elle les entend, « ces petites jeunes filles qui se morfondent sur les réseaux sociaux devant des photos de gens sous les cocotiers à l’autre bout du monde ». Ces joursci, elle surprend parfois son entourage en citant des articles du Monde diplomatique. Elle a dévoré La Guerre des pauvres d’Eric Vuillard, La France qui déclasse de Pierre Vermeren et Le Climat après la fin du mois de Christian Gollier. Ses lectures du moment tissent un nouveau canevas idéologique, où le réchauffement climatique se confond avec les dérives du capitalisme.
« Le président de la République considère qu’elle est un animal politique et qu’elle a un grand talent pour sentir la société française », commente prudemment une ministre proche d’Emmanuel Macron. Ségolène Royal ne lui rend pas la politesse. « Si j’étais à [sa] place, la France irait mieux, assuretelle. Cela peut sembler prétentieux de le dire, mais c’est vrai. » Elle en veut pour preuve la gestion de la crise des gilets jaunes. En voyant des femmes de plus de 65 ans affronter le froid hivernal sur les rondspoints à la fin de 2018, elle comprend immédiatement que le pouvoir doit reculer. Elle envoie un texto à Emmanuel Macron – à l’époque, ils échangeaient encore ponctuellement – pour lui conseiller d’abandonner immédiatement la taxe carbone. Elle ne se souvient pas d’avoir reçu une réponse de l’Elysée. Le divorce avec la Macronie est consommé depuis qu’elle a été virée de son poste d’ambassadrice des pôles, en janvier. « L’avoir dehors était moins fatigant que l’avoir à l’intérieur au quotidien », avoue un ministre.
Que mijotetelle donc « dehors » ? Chaque semaine, elle réunit sa garde rapprochée, encore loin d’être une dream team. Un café ou un déjeuner, souvent le mardi ou le mercredi pour permettre aux députés Christophe Bouillon, Luc Carvounas et Guillaume Garot d’être présents. « Elle travaille en direct, pas besoin de faire des milliers de notes », glisse un membre de l’équipe. Après sa déclaration fracassante sur France 3 le 2 février – rejetant le slogan #JeSuisMila –, ils sont plusieurs à lui conseiller de préciser sa pensée. Elle le fait le lendemain sur Facebook en rappelant sa conception de la laïcité et en assumant de ne pas mettre sur le même plan les mots d’une adolescente et les victimes de Charlie Hebdo. Ça ne plaira pas aux tenants d’une laïcité intransigeante, mais qu’importe. « Elle a pris un point sur le dernier baromètre Kantar » [NDLR : il mesure la confiance des Français dans les médias], note le socialiste François Kalfon, spécialiste des études d’opinion. Dans l’équipe, les grognards de toujours, comme Guillaume Garot, cohabitent avec les nouveaux venus. Ségolène Royal est à l’affût pour recruter. Luc Carvounas n’avait pas
son numéro de téléphone il y a encore deux ans. A l’automne 2018, il lance à Marseille son projet « la gauche arcenciel », une passerelle pour faire dialoguer des partis de gauche divisés. Le local de l’étape, Patrick Mennucci, lui confie que Ségolène Royal regarde sa démarche avec bienveillance. Il la rencontre quelques jours plus tard et ne l’a plus quittée depuis.
Sontils assez nombreux pour transformer Désirs de France en aventure présidentielle ? L’association revendique plus de 4 000 « inscrits », mais il est difficile d’en évaluer les forces vives, en dehors des quelques noms déjà cités. « Ségolène Royal estelle vraiment entourée ? J’ai l’impression de revenir treize ans en arrière. La question lui a toujours collé à la peau », s’esclaffe un excompagnon de route. « Tout est affaire de dynamique, analyse Benoît Thieulin, excheville ouvrière de Désirs d’avenir. En janvier 2006, on était entre 12 et 15 personnes. Deux mois plus tard, on était 50. » D’autres ne s’y laisseront plus prendre. « Quand elle gagne, c’est grâce à elle, quand elle perd, c’est à cause des autres », grince une ancienne de la campagne de 2007.
« Ségolène a repris le rôle d’émetteur d’idées de gauche ces dernières semaines, revendique Luc Carvounas. Ça lui donne une légitimité. » Parcimonieux dans ses prises de parole, Bernard Cazeneuve en a fait les frais sur France Inter le 12 février. Il a dû répondre à pas moins de trois questions la concernant. Le Parti socialiste, où elle n’a plus sa carte, l’observe avec circonspection. Le premier secrétaire, Olivier Faure, alerte, sans la nommer, sur les « aventures individuelles ». La présidente du groupe PS à l’Assemblée, Valérie Rabault, est ressortie de son rendezvous avec l’excandidate à la présidentielle, le 28 janvier, convaincue qu’elle était déterminée à mener campagne jusqu’au bout. Et François Hollande ? « Il est sur la même logique que moi, glisse le président du groupe PS au Sénat, Patrick Kanner. Tant mieux si Ségolène Royal comprend ce que sont Macron et le macronisme ! » Manière élégante de lui reprocher ses deux
ans de flirt avec La République en marche, qu’elle soutenait encore aux élections européennes de 2019. L’ancienne ambassadrice des pôles n’a que faire des piques des ex de Solferino. « Si certains socialistes pensent qu’il ne faut rien bouger, pourquoi personne ne met le logo sur ses affiches aux municipales ? » faitelle mine de s’interroger. Le manque de soutien du PS en 2007 ne sera sans doute jamais digéré. On flaire un parfum de vengeance dans son échappée en solitaire. « Je n’ai pas de revanche à prendre, rien à prouver, pas de pulsion de testostérone », jure la presque candidate. « Quand elle dit qu’elle n’ira que si elle est bien placée et si quelque chose se dessine, il faut la croire, assure l’éditorialiste Françoise Degois, amie et ancienne collaboratrice. Ce n’est pas une enragée de la campagne présidentielle. »
Si ce n’est sur le vieux PS ou sur Emmanuel Macron, c’est peutêtre plutôt une revanche sur le temps que caresse Ségolène Royal. Avoir voulu trop tôt échapper aux carcans des vieux partis en 2007, et voir un autre triompher avec cette intuition dix ans plus tard, ça agace. Mais le temps est cruel. Il court. Ne seratil pas trop tard pour elle en 2022 ? On craint d’être inélégant en le lui demandant. Elle ne s’offusque pas. « Si je sentais que c’était passé, je ne ferais plus de politique. Je ne suis pas masochiste ! »