L'Express (France)

Du yoga « pour les hommes »

Depuis peu, en France, des cours de yoga s’accordent au masculin seulement. De quoi offrir aux récalcitra­nts un cadre moins intimidant pour s’initier. PAR AUDE GOULLIOUD

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Il est 8 heures du matin. Malgré le temps froid et pluvieux, une bonne dizaine d’hommes ont traversé Paris pour prendre place, en tailleur, dans cette salle du centre Somasana (viiie), premier espace en France dédié à la fois à l’ostéopathi­e et au yoga. Guidée par Samuel Urtado, fondateur du centre, et Prosper Matussière, un ancien gymnaste profession­nel, la pratique s’amorce en douceur sur une musique planante de Moby. Ouvertures, extensions, guerrier, planche, chien tête en bas… les postures s’enchaînent de façon fluide, au rythme du souffle, pour finir en beauté par un équilibre sur les mains auquel chacun s’essaie tant bien que mal. « Cherchez votre ancrage, faites ce que vous pouvez sans vous soucier des autres », encourage Prosper. Bienvenue au cours du Yoga des bons hommes, pensé pour eux et réservé en grande partie à eux. Une drôle de promesse à l’ère du no gender, de l’antisexism­e et de l’inclusion, et qui pourtant explose outreManch­e et aux EtatsUnis sous le nom de « broga » – contractio­n de brother (« frère », « ami ») et de yoga.

« Il n’y a là rien de macho ! » se défend Adrien Matter, instructeu­r au Qee (prononcer « ki »), autre grand centre de yoga parisien à développer les ateliers pour hommes. Plutôt une réponse à un simple constat : « Une toute petite minorité d’hommes pratiquent le yoga en France. Et ceux qui ont envie de s’y mettre ont du mal à se retrouver seuls au milieu de 15 nanas. » Les chiffres sont éloquents : dans l’Hexagone, sur les 2,6 millions d’adeptes, 80 % sont des femmes. Etonnant, lorsqu’on sait qu’en Inde le yoga est à l’origine exclusivem­ent une affaire d’hommes.

C’est que la pratique telle qu’elle s’est importée chez nous a très tôt rencontré les aspiration­s féminines, explique Marie Kock, auteure de Yoga, une histoire-monde (La Découverte). « Le premier studio occidental a été ouvert par une femme, Indra Devi, à la fin des années 1940, à Hollywood. Ses cours, orientés sur le bienêtre et la beauté du corps, ont naturellem­ent attiré une population féminine. Au cours des années 1970, les femmes ont trouvé dans cette pratique une façon de prendre en charge leur santé, un outil de bienêtre et de libération. » La tendance s’est poursuivie jusqu’à ces trois dernières années, où le « yoga de la femme » a explosé, alors que la pratique est universell­e et très adaptable – en témoignent ses multiples formes actuelles.

« L’idée que le yoga se prête davantage à la morphologi­e féminine est fausse, rappelle Samuel Urtado. La souplesse, ça s’acquiert, ce n’est pas inné. » A la différence des femmes, qui vont plus souvent vers des discipline­s allongeant la musculatur­e (danse, Pilates…), les hommes, expliqueti­l, favorisent celles qui créent du muscle en masse, comme le foot ou la musculatio­n. « Aller vers l’allongemen­t, la fluidité est une excellente compensati­on, une bonne manière d’éviter les blessures et de développer un équilibre général. » Ce que les grands sportifs ont bien compris, à l’image de ces yogis avertis que sont le rugbyman Benoît Guyot ou le boxeur Anthony Joshua. « J’ai fait beaucoup de compétitio­n, témoigne également Prosper Matussière. Le sport, pour moi, ça voulait dire : “Tu y vas pour gagner, sinon tu restes chez toi.” Le yoga m’a ouvert à une autre dimension du corps et du mouvement : j’ai compris que le lâcherpris­e n’était pas un “laisserall­er”, mais, au contraire, qu’il me permettait, en douceur, d’aller bien plus loin. » Selon lui, il est essentiel « de proposer une initiation à ceux qui n’osent pas s’y mettre ».

Ces groupes d’apprentis yogis n’ont donc rien du boys’ club fermé sur luimême. Plutôt bien dans l’air du temps, il y est question de « communauté » – où les femmes sont les bienvenues, à condition d’être accompagné­es d’un homme pour respecter un équilibre –, d’une « reconnexio­n à soi » et d’un « cadre bienveilla­nt » où acquérir les bases et la confiance pour rallier n’importe quel cours par la suite. « On parle beaucoup de la violence des hommes à l’égard des femmes, souligne Adrien Matter, mais pas assez de celle des hommes entre eux. Ici, ils sortent de la pression de la performanc­e, portent leur attention sur ce qu’ils ressentent, et cela ne peut que pacifier leurs relations. Le corps, c’est mon levier pour faire bouger la société. » Son prochain projet ? « Monter un cours beaucoup plus martial. Réservé aux femmes, cette fois ! » Cours tous les mardis, à 8 heures, au centre Somasana, 98, rue de Miromesnil, Paris (VIIIe). Prochain atelier, le 21 mars, de 18 h 30 à 20 h 30, à l’Eléphant Paname, 10, rue Volney, Paris (IIe). www.yogadesbon­shommes.fr Cours de vinyasa pour hommes, tous les mardis, de 13 h 15 à 14 h 15. Prochain atelier, le 21 mars, de 15 à 17 heures (« Ouvrir les épaules, détendre le cou »). 7, rue d’Argout, Paris (IIe). www.qee.fr

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Un cours au centre Somasana, pour se reconnecte­r à soi.
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Cette posture d’équilibre renforce les muscles des jambes et du dos.

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