La mort des Césars, par Christophe Donner
Ça pète de partout à l’académie des Césars. Même pas sûr que la soirée de vendredi aille à son terme.
Le problème, ce n’est pas la parité.
Quand ce sera vraiment du 50-50 entre les vieux et les vieilles, les ratés et les ratées, les pourris et les pourries, ils ressembleront à quoi, les films paritaires ? Je préfère ne pas les voir.
La démocratie au cinéma, c’est l’oxymore le plus grotesque jamais inventé depuis la dictature du prolétariat.
Ce n’est pas non plus Roman Polanski, le problème.
Si vous parvenez à « assainir la profession », à éliminer tous les metteurs en scène violeurs, les acteurs violents, les producteurs manipulateurs, les agents pervers, les techniciens tire-au-flanc, si vous flanquez les ivrognes à la porte comme dans la chanson et que vos pétitions pschitt-pschitt réussissent à purifier l’ambiance des plateaux de tournage, des agences, des écoles, vous ne trouverez plus personne de vivant, de vrai, de misérable, de désespéré, de prêt à tout pour réussir, plus un innocent fragile et beau à mettre devant Zabriskie Point, à plonger dans la fontaine de Trevi, à faire sauter sur le pont de la rivière Kwaï. Il faudra les remplacer par des ours en peluche. L e vrai problème de l’académie des Césars, c’est qu’elle produit la plus ennuyeuse des soirées jamais créées depuis le gala des courses de Deauville. Ah si, il y a aussi la Nuit des Molières, mais là on est au-delà de l’ennui : c’est du pur suicide. Rien n’est plus contraire à l’art cinématographique que ce défilé de gens heureux, pétrifiés de reconnaissance envers le metteur en scène avec lequel ils n’ont pas couché et que c’est peut-être pour ça, à cause de ce manque de rapports humains, que le film est si nul.
Bref, cette soirée est une purge.
Les seuls moments supportables étant les saillies de l’animateur ridiculisant la cauchemardesque soirée avec plus ou moins de férocité, mais c’est cher payé le bol d’air. Il semble d’ailleurs que la question de l’argent soit devenue contentieuse au fil des ans, mais le problème n’est pas financier, ni moral, même pas structurel, il est ontologique : le cinéma d’aujourd’hui ne se fait plus avec des films.
Dit autrement : ce n’est plus « au cinéma » qu’on voit les meilleurs films. Dernière preuve en date : le film Scandale, de Jay Roach, ne vaut pas The Loudest Voice, série de Tom McCarthy, qui traite du même sujet exactement. Mais déjà, il y a six ans, la série Fargo était meilleure que le film des frères Coen, qui en sont d’ailleurs les producteurs. E t s’il faut parler des productions françaises, Baron noir est meilleur que L’Exercice de l’Etat ; Engrenages, meilleur que Polisse, etc. Un jour, le film qu’on verra en salle ne sera plus que la bande-annonce de la série.
On se rendra compte alors que le J’accuse de Polanski n’était que la bande-annonce de la série que je suis en train d’écrire sur le sujet.
Le premier épisode de la saison 3 commence devant le cinéma de la rue Champollion, avec les filles qui réussissent à interdire la projection du film. Ça fera une bonne séquence. Il est prévu ensuite un long travelling dans les rues de Paris avec les affiches du film à tous les coins de rue, de telle sorte qu’en passant assez vite on pourra seulement lire J’accuse Polanski J’accuse Polanski J’accuse…
A la fin de ce premier épisode, quand Florence Foresti, déguisée en Mia Farrow dans Rosemary’s Baby, mettra le feu à cette soirée indigeste, quand il ne restera plus rien de ce pudding de vanités larmoyantes, les gens diront : « Waouh, ça ressemble à un film de Polanski. »