Et si on luttait enfin contre la corruption ?
Ancien président de l’association Anticor, Jean-Christophe Picard* appelle à un sursaut citoyen et politique pour moraliser la vie publique.
La
corruption, tout le monde dit vouloir lutter contre. Mais voilà : alors qu’elle atteint un degré aujourd’hui insupportable au regard de l’explosion de la dette publique et du creusement des inégalités, les solutions apportées par la puissance publique en France pour lutter contre ce fléau restent poussives, chacune ne faisant que répondre, la plupart du temps, à un scandale.
Une preuve parmi d’autres : il n’existe pas, chez nous, d’évaluation officielle du coût des atteintes à la probité. Selon une étude du groupe parlementaire européen Verts/ALE publiée en 2018, « 120 milliards sont perdus chaque année en France à cause de la corruption ». Mais aucun chiffre émanant des autorités françaises ne nous permet d’en savoir plus. En 2018 également, le très sérieux syndicat Solidaires Finances publiques estimait « que l’évitement illégal de l’impôt procédant de la fraude et de l’évasion fiscales » était « au moins égal à 80 milliards d’euros » par an. Le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, avait ironisé sur ce chiffre vertigineux, avant d’annoncer la création d’un observatoire destiné à évaluer l’ampleur de la fraude fiscale. On attend toujours.
Cette réticence à donner des chiffres officiels est révélatrice du déni ambiant, voire de l’aveuglement. Si les citoyens ne sont pas toujours lucides sur l’ampleur du problème, c’est aussi parce que beaucoup considèrent que ses effets sont diffus et que, par voie de conséquence, les victimes sont rares. Ce qui est faux, bien sûr. D’une part, il peut exister des victimes directes qui sont spoliées, voire assassinées.
D’autre part, le coût est tel que, même supporté par l’ensemble des contribuables, l’impact sur chacun est énorme : ce sont des impôts et des taxes supplémentaires, des prestations sociales diminuées ou des services publics de moins bonne qualité.
Surtout, une victime collatérale, et non des moindres, est à déplorer : la démocratie ellemême. La succession des scandales altère l’indispensable lien de confiance entre élus et électeurs. L’augmentation de l’abstention, la fréquence du vote protestataire, la montée du dégagisme et l’ampleur des mouvements sociaux doivent nous inciter à décréter, sans attendre, « l’état d’urgence éthique » !
Face à l’ampleur des atteintes à la probité, il faut en effet agir à tous les échelons. Le territoire de l’Union européenne est particulièrement adapté. Il serait ainsi judicieux d’ajouter la corruption transfrontalière dans le champ de compétences du futur parquet européen. De même, la mise en place de l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés obligerait les entreprises à appliquer les taux d’imposition nationaux aux bénéfices qu’elles réalisent dans chaque pays.
Sur le modèle de la charte de l’Environnement, on pourrait aussi adopter une charte éthique contenant de nouveaux principes à valeur constitutionnelle afin d’inspirer le législateur et de guider le Conseil constitutionnel. Il faudrait notamment consacrer l’indépendance des procureurs – qui décident de l’opportunité des poursuites pénales – en supprimant tout lien hiérarchique entre eux et le ministre de la Justice. Et accroître leurs moyens financiers.
POUR UNE « PRIME À L’ÉTHIQUE »
La moralisation de la vie politique doit également passer par les élus locaux, les grands oubliés des lois pour la confiance dans la vie politique du 15 septembre 2017. Ils sont peu nombreux à respecter leurs obligations en la matière (nomination d’un référent déontologue et d’un référent « alerte éthique », open data par défaut, etc.). En 2016, la Cour des comptes avait d’ailleurs dénoncé le « caractère peu opérant » des contrôles budgétaire et de légalité exercés par les services de l’Etat sur les actes des collectivités. Enfin, les anomalies détectées pendant la présidentielle auraient dû conduire à un meilleur encadrement des campagnes électorales.
Les citoyens, seuls ou regroupés en association, ont un rôle majeur à jouer. Les procédures leur permettant de peser sur les décisions sont hélas encore trop peu utilisées, comme le montre le faible succès du référendum d’initiative partagée sur la privatisation du groupe ADP. Mais il ne tient qu’aux électeurs de remplacer la fameuse « prime à la casserole » par une « prime à l’éthique » !
L’impact de la fraude fiscale sur chacun est énorme : ce sont des impôts et des taxes supplémentaires, des prestations sociales ou des services publics de moins bonne qualité
* Auteur de La Colère et le Courage. Plaidoyer contre la corruption, pour une République éthique (Armand Colin).