Locaphiles et locaphobes
Face à l’urgence écologique et aux difficultés économiques, les solutions locales sont à la mode. Mais la prime à la proximité est-elle efficace? ANTOINE LARCHANT
ON
SE SOUVIENT DU FILM DE COLINE SERREAU, Solutions locales pour un désordre global, en 2010, ou de celui de Cyril Dion et Mélanie Laurent, Demain, en 2015. Ces deux documentaires à succès illustraient une méthode pour sauver la planète : commencer par agir autour de soi afin de changer le monde. Ce qui est valable pour l’écologie, la consommation et la vie courante le serait aussi en économie. Pour en finir avec le capitalisme s’organisant à l’échelle mondiale, il faudrait d’abord modifier nos habitudes quotidiennes, d’où le fameux petit geste pour sauver la planète ou privilégier les produits du marché équitable. Cette préconisation est relayée dans une sorte de consensus général lorsqu’il s’agit de contrecarrer le poids de la finance. Mais pas pour Aurélien Bernier.
Dans L’Illusion localiste (éd. Utopia), ce militant de la décroissance la considère au contraire comme dangereuse. Selon lui, le localisme, dont on fait aujourd’hui la panacée contre le libéralisme sauvage, serait une arnaque, voire une chimère. Elle entretiendrait l’idée fausse qu’il faut partir d’en bas pour changer le haut. Dans une démonstration revenant sur l’histoire de la décentralisation face à la globalisation industrielle et financière, l’activiste passe au laminoir les idées de relocalisation, de démocratie participative, de territoires et de proximité. Autant de notions entretenant, selon lui, le chauvinisme, le repli sur soi et le « patriotisme de clocher ». Pour le collaborateur du Monde diplomatique, le concept même de décentralisation est une fumisterie puisque les grandes décisions économiques et sociales se prennent toujours loin des citoyens, au sein de structures internationales.
D’après Aurélien Bernier, le localisme aurait été mis en oeuvre par la classe dirigeante, de droite comme de gauche, pour éviter la remise en question du capitalisme et alimenter la régression permanente. Dans ce contexte, les actions locales n’auraient aucun effet dans un monde où tout se décide à l’échelle supranationale. « Il est impossible de rompre avec la mondialisation sans changer le cadre macroéconomique », souligne l’auteur. Les initiatives d’économie locale ou de proximité ne servent qu’à retarder le retour au bon vieux jacobinisme, seule option crédible à ses yeux pour renverser la situation : « Je plaide pour une stratégie de reconquête de la souveraineté nationale et populaire. Je défends un projet de démondialisation, de décroissance et de coopération internationale qui passe par la sortie de l’Union européenne, par la régulation des marchandises et des capitaux, par un affrontement avec les multinationales et leurs actionnaires pour les replacer sous contrôle politique, par des orientations diplomatiques totalement nouvelles. » Son démontage méticuleux du localisme peut paraître convaincant. Il pourrait même donner du grain à moudre aux libéraux. En revanche, lorsqu’il s’agit d’expliquer ses solutions, on lui rappellera ce qu’il reproche à Michel Onfray quand celui-ci défend le localisme : l’« abandon de toute argumentation rationnelle ».