La dopamine : mythes et vérité, par Albert Moukheiber
Considérée à tort comme la source du plaisir, cette molécule joue cependant un rôle crucial dans notre cerveau.
Nous vivons une époque de quête permanente du bien-être et du plaisir. Des postes de « responsable en chef du bonheur » (Chief Happiness Officer) pullulent dans les entreprises, les centres de yoga se multiplient et un nouveau régime alimentaire « incroyable » chasse régulièrement celui qui le précédait. Les neurosciences n’ont pas échappé à cette « happycratie » avec un responsable tout désigné de notre plaisir : la dopamine, ou « la molécule du bonheur ». Le site dopamine.fr explique par exemple : « Vous ressentez du plaisir en mangeant, en écoutant de la musique, en faisant du shopping ? C’est la dopamine qui vous procure ce plaisir. »
Souvent pointée du doigt
Il n’est donc pas surprenant que vous puissiez trouver sur Internet des conseils sur « comment augmenter naturellement votre production de dopamine » au travers de divers exercices ou, si ces derniers vous rebutent, en vous contentant d’acheter des compléments alimentaires. Inversement, la dopamine est souvent pointée du doigt pour justifier certains de nos comportements modernes. Plusieurs articles récents expliquent ainsi la prétendue addiction aux réseaux sociaux par une théorie dopaminergique : les réseaux sociaux provoqueraient la production de dopamine et nous rendraient ainsi accros. Tout cela est faux parce que la dopamine n’est pas vraiment la molécule du plaisir. Cette croyance remonte aux années 1950 et 1960, via des travaux insuffisants réalisés sur des rats, qui ont poussé certains chercheurs à émettre l’hypothèse que notre plaisir croît proportionnellement à notre stock de dopamine ; et que, à l’inverse, la dépression serait liée à un manque de dopamine. Ces modèles ont été réfutés dans les années 1980. Mais, comme pour beaucoup d’autres « neuro-mythes », la croyance persiste.
Circuits de motivation et de récompense
Depuis, les scientifiques comprennent mieux le rôle de cette molécule impliquée dans les circuits de motivation et de récompense plutôt que dans ceux du plaisir. Certaines recherches étayent l’idée qu’elle est un signal d’erreur de prédiction : si vous obtenez une récompense inattendue, votre comportement s’en trouvera renforcée ; d’autres études laissent à penser que c’est un signal motivationnel qui vous donne l’élan nécessaire pour vous mettre en action. La dopamine joue dans d’autres mécanismes au sein de notre encéphale : elle est impliquée dans une multitude de circuits neuronaux tels que la perception, l’attention, le mouvement ou la régulation hormonale.
Elle semble aussi jouer un rôle en dehors de notre boîte crânienne, pour moduler la dilatation de nos vaisseaux sanguins, ou notre production d’insuline ou d’urine.
Ne pas déresponsabiliser l’humain
Mais pourquoi est-il important de ne pas confondre dopamine et plaisir ? Croire que des comportements ou des émotions complexes comme le plaisir sont le fait d’une seule molécule nous expose au risque d’une schématisation qui déboucherait sur une sorte de justification biologique simpliste d’un facteur psychologique complexe. Si nous reprenons l’exemple des réseaux sociaux, dire que l’addiction est due à la dopamine déresponsabilise l’humain et impacte la manière dont nous traitons ces sujets. A cause d’un dualisme trop répandu – la séparation du corps et de l’esprit –, nous avons tendance à croire comme plus vrai ce qui vient du corps : ce n’est pas ma faute, mais celle de la dopamine dans mon cerveau. Ce raisonnement de la « molécule bouc émissaire » peut s’élargir à d’autres neurotransmetteurs, comme la sérotonine et l’humeur, ou l’ocytocine et l’amour. J’observe de plus en plus souvent, au cours de mes consultations, des personnes m’expliquant que, si elles vont mal, c’est parce qu’elles manquent de sérotonine, et qu’il suffit de recharger leur réservoir pour aller mieux. Avec de tels préjugés, le travail thérapeutique devient plus complexe parce que le patient estime avoir un simple problème de régulation chimique du cerveau. En général, réduire un trait de notre psychologie ou un comportement à une molécule est une grossière erreur parce que nous ne fonctionnons pas ainsi. N’oublions jamais que nous sommes loin d’avoir compris les règles qui régissent le fonctionnement de notre cerveau et que les fausses routes sont souvent très faciles à prendre.