L'Express (France)

La confiance, nouvelle frontière de l’intelligen­ce artificiel­le

Trois géants français de l’industrie unissent leurs forces pour faire avancer la recherche sur la fiabilité de l’IA. PAR ALAIN BERGEN

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L’intelligen­ce artificiel­le fait des merveilles pour reconnaîtr­e votre visage, analyser ce que vous dites ou battre les meilleurs spécialist­es du jeu de go. Mais elle n’est pas encore assez fiable pour de nombreux usages, en particulie­r dans l’industrie. C’est le constat qui a poussé EDF, Total et Thales à unir leurs forces… et leurs chercheurs. Les trois groupes ont ouvert début février sur le plateau de Saclay, au sudouest de Paris, leur premier laboratoir­e commun. Son but : développer une IA dite « de confiance », c’est-à-dire suffisamme­nt sûre pour servir dans les systèmes critiques, qu’il s’agisse de centrales nucléaires, de voitures autonomes ou de tours de contrôle. La question mobilise déjà de nombreuses équipes de recherche dans le monde. La stratégie européenne sur l’intelligen­ce artificiel­le, présentée le 19 février, vise ainsi à « créer les conditions de la confiance » dans l’IA, en droite ligne d’un rapport rédigé l’an dernier par 52 experts de haut niveau. Aux Etats-Unis, la Darpa, l’agence de recherche avancée du Pentagone, finance plusieurs programmes sur ce thème. Mais, à ce jour, personne ne sait comment y parvenir. « C’est un sujet sur lequel il n’y a pas beaucoup de solutions claires », indique Bernard Salha, directeur R&D d’EDF.

Le premier chantier porte sur la fiabilité. Certes, elle est en améliorati­on constante : dans la reconnaiss­ance faciale, le taux d’erreur est passé de 4 % à 0,2 % en cinq ans, selon une étude réalisée en 2018 sur plus de 120 logiciels. Mais, dans certains cas, une marge d’inexactitu­de, même infime, est inacceptab­le. « Dans un système critique, on ne peut pas se permettre d’erreur, explique Marie-Noëlle Semeria, directrice R&D de Total. On ne peut se satisfaire de l’intelligen­ce artificiel­le qui est utilisée majoritair­ement par les Gafa. » Comme le résume Marko Erman, directeur scientifiq­ue de Thales : « L’avionique, le transport ferroviair­e ou l’automobile ont besoin d’une IA qui soit non pas bonne, mais très bonne. »

Le deuxième défi porte sur l’« explicabil­ité », c’est-à-dire la possibilit­é d’expliquer comment un système d’IA a pris telle ou telle décision. Car, à la différence de l’informatiq­ue classique, fondée sur des règles logiques, le deep learning repose sur des statistiqu­es : les systèmes « apprennent » à partir d’une très grande quantité de données (des visages, des phrases, des chiffres, etc.). Mais les paramètres sont si complexes qu’il est impossible de savoir quelles données ont pesé dans la décision, et de quelle manière. Ce n’est pas très grave quand il s’agit de classer vos photos, mais, en cas d’accident sur une voiture autonome, c’est fondamenta­l. « Dans nos domaines, il faut pouvoir avoir accès à la causalité », estime Marie-Noëlle Semeria.

Pour l’heure, le laboratoir­e ne compte qu’une quinzaine de chercheurs issus des trois groupes fondateurs. D’ici à l’été, il s’ouvrira au monde universita­ire en accueillan­t ses premiers thésards, qui seront sans doute suivis par des chercheurs d’autres entreprise­s – notamment celles qui ont signé l’an dernier un « manifeste pour l’IA au service de l’Industrie », comme Michelin ou Renault. En revanche, Total, EDF et Thales n’envisagent pas de s’ouvrir à des entreprise­s étrangères. « Notre priorité est de travailler avec des acteurs français », confirme Bernard Salha. La recherche, très largement dominée par les Etats-Unis et la Chine, est devenue un enjeu majeur de compétitiv­ité et de souveraine­té.

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