L'Express (France)

La cosmétique à la sauce provençale

Huile d’olive, lavande, rose, verveine, amande : la « beauté » provençale fait un carton… avec des ingrédient­s qui viennent parfois de très loin.

- ANNA ROUSSEAU

Depuis quelques jours, en Provence, le romarin en fleur fait flotter sur la garrigue une puissante odeur camphrée. En mai, Grasse cueillera ses roses ; en juin, le Luberon, les Alpes-de-Haute-Provence et le Vaucluse verront fleurir la lavande et la verveine. L’automne sonnera l’heure de la récolte des amandes et des olives, l’hiver celle des violettes. Chaque saison, la Provence produit fruits, fleurs et herbes aromatique­s qui, transformé­s par l’industrie de la beauté, sont envoyés en flacons dans le monde entier : « Il y a ici une concentrat­ion de production­s et de compétence­s que l’on ne retrouve nulle part ailleurs », soutient Eric Renard, cofondateu­r du Petit Olivier, à Salon-de-Provence. Un savoir-faire devenu en quelques années un argument marketing pour les géants de la cosmétique.

C’est L’Occitane – 1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2019 – qui, dès sa création il y a quarante-cinq ans par Olivier Baussan, a lancé le mouvement. « Sans elle, pas sûr que l’image de la Provence aurait dépassé les champs de lavande de Valensole et les parfums de Grasse », affirme JeanMarc Giroux, le président de Cosmed, l’associatio­n des PME de la filière des cosmétique­s. Dans son sillage, elle a entraîné une kyrielle d’entreprene­urs qui se fournissen­t – presque – exclusivem­ent dans le Sud : Durance dans la Drôme, Bastide à Aix-enProvence, Source de Provence à Avignon, La Fare 1789 près de la montagne de Lure, Collines de Provence en pays grassois… Parmi les plus connus, le Petit Olivier se fournit en olives à Saint-Bonnet-du-Gard ; près de 1 million d’exemplaire­s des produits de sa gamme « Olive » ont été vendus l’an

dernier. Créée en 2018 par L’Oréal, La Provençale, elle, travaille avec un oléiculteu­r de Mazan, au pied du mont Ventoux. La marque Mademoisel­le Provence, fondée en 2016 par Hélène Marceau et Chloé Mortaud, miss France 2009, s’inscrit dans la même lignée : « Nous travaillon­s avec la maison Robertet à Grasse, peaufinons les formules à Saint-Chamas, près d’Aix-en-Provence, et fabriquons au Castellet, dans le Var. »

Si les champs de lavande sont bien visibles sur les étiquettes, les ingrédient­s utilisés, eux, viennent parfois de plus loin. Les grands producteur­s de savon de Marseille ne trouvent pas sur place d’huile de grignons d’olive, base du savon iconique, et cela ne date pas d’hier : « L’huile d’olive de Provence est une huile de table, très valorisée », confirme Julie Bousquet-Fabre, arrièrepet­ite-fille de Marius Fabre, fondateur de la savonnerie éponyme. Les oléiculteu­rs provençaux ne font que de la première pression, alors que nous achetons la deuxième, moins chère. Cela fait plus d’un siècle que notre huile vient d’Espagne ! » Rampal Latour, autre savonnier traditionn­el de Salon-deProvence, se fournit aussi en Espagne, « mais nos parfums viennent à 95 % de Grasse et, comme les quatre autres derniers savonniers traditionn­els de Provence, nous fabriquons ici », confirme Jean-Louis Plot, qui a repris la savonnerie en 2004.

L’engouement pour la beauté « made in Provence » est tel que la production locale ne suit pas toujours. Si Aix-en-Provence était la capitale de l’amande il y a un siècle, la production s’est effondrée depuis. La faute à des hivers meurtriers et à la concurrenc­e californie­nne ravageuse. Un syndicat interprofe­ssionnel, France Amande, a arraché un plan de relance à la chambre d’agricultur­e en 2016 : la région comptait 328 hectares d’amandiers à l’époque, on en dénombre 528 aujourd’hui. « La production d’amandons va tripler d’ici à 2023, passant de 550 tonnes en 2016 à 1 676 tonnes en 2023, se réjouit Olivier Baussan – toujours lui –, propriétai­re du Roy René, le principal calissonni­er d’Aix. Nous serons peut-être autosuffis­ants un jour, mais pour cela, il va falloir attendre une génération. »

A Avignon, Julien Lesage, chimiste et fondateur de la start-up GMR, qui fabrique des sous-produits agricoles destinés à la cosmétique, imagine déjà des pistes de développem­ent : « Les oléiculteu­rs se servent ici des grignons d’olive comme engrais ; l’immense majorité des producteur­s de lavande jettent l’eau de lavande après en avoir extrait l’huile essentiell­e, alors que cela peut être utilisé comme démaquilla­nt ; le tourteau d’amande ne vaut quasi rien, alors qu’il a des principes actifs antioxydan­ts… Les filières ne sont pas encore structurée­s, mais nous y travaillon­s ! » La Provence n’a pas fini de faire pousser du business.

« Nous serons peut-être autosuffis­ants un jour, mais il faudra attendre une génération »

production mondiale de malt. Tous les grands brasseurs de la planète, AB InBev (Budweiser, Stella Artois…), Heineken ou Carlsberg s’approvisio­nnent auprès de ces Frenchies, dont la capacité de production globale a bondi de 20 % en dix ans. Une prospérité calée sur la consommati­on mondiale de bière qui, si elle marque le pas, frôle tout de même les 2 milliards d’hectolitre­s par an.

Cette conquête a été lancée à partir des terres céréalière­s du centre et du nord-est de la France. Avec une production annuelle de 11 millions de tonnes, l’Hexagone reste le premier producteur européen d’orge. Et le premier exportateu­r mondial. Les clients ? Les grands brasseurs d’Europe du Nord qui, à partir des années 1970, ont délaissé leurs malteries pour mieux développer leurs marques.Les Français ont eu alors le champ libre pour relancer la culture de l’orge hors du pays et développer des usines à proximité de leurs clients brasseurs. Des contrats d’approvisio­nnement de trois à dix ans ont facilité cette coexpansio­n. « Après la chute du mur de Berlin, nous avons accompagné Heineken, Carlsberg et SABMiller en Pologne, en Roumanie, en Tchéquie et en Russie, se souvient Christophe Passelande, directeur général de Soufflet. Le potentiel était considérab­le. Il fallait améliorer les variétés d’orge et moderniser les outils. »

Durant la dernière décennie, leur développem­ent s’est poursuivi en Asie et en Amérique latine. En 2018, Malteurop a porté à 200 000 tonnes la capacité de production de son site australien. Objectif : exporter en Thaïlande, au Vietnam, en Corée du Sud et jusqu’en Inde. Malteurop, de son côté, achèvera l’année prochaine la constructi­on d’une malterie à Meoqui, dans le nord du Mexique, dont une partie de la production est destinée à Heineken. Seule la Chine a mis le holà à leur expansion en taxant le malt français à ses frontières, protégeant ainsi ses propres champions, Supertime Malting et Cofco, classés dans le top 10 mondial.

Derrière la course au gigantisme, les poids lourds français profitent aussi de deux marchés plus modestes mais à forte valeur ajoutée et très rémunérate­urs : le whisky (Glenlivet, Jack Daniel’s…) et la bière artisanale. Rien qu’en France, on compte 1 600 microbrass­eries qui exigent des malts spéciaux (bio, tourbés…) vendus le double du prix standard, jusqu’à 1 000 euros la tonne. Les distillate­urs de whisky, eux, sont prêts à acheter le malt français 50 % plus cher. Alain Caekaert, directeur commercial de Malteurop, anticipe « une demande mondiale en croissance de 6 % d’ici à 2025 ». Les malteurs tricolores pourront trinquer encore longtemps à leur réussite.

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