LE SERVEUR
PAR MATIAS FALDBAKKEN, TRAD. DU NORVÉGIEN PAR MARIE-PIERRE FIQUET.
FAYARD, 256 P., 20 €.
Matias Faldbakken s’est fait un prénom en France à travers ses oeuvres minimalistes, provocatrices, exposées à la Fiac et dans les galeries d’art. Mais c’est la première fois que le fils du bien-aimé Knut Faldbakken, auteur de polars danois, est publié chez nous. Une initiative louable tant Le Serveur intrigue et séduit à la fois. L’action se déroule au sein du Hills, l’une de ces brasseries très « vieille Europe » d’Oslo, patinées par le temps et le bon goût. Aux oeuvres d’art accrochées aux murs répond le ballet orchestré du personnel, du maître d’hôtel et ses maximes oiseuses au pianiste Johansen niché dans sa mezzanine. « Conscience professionnelle et effacement », telles sont les deux exigences du serveur, le narrateur de ce délicieux et grinçant huis clos.
Il y a là les habitués de la table 10, Graham, dit le Cochon, la soixantaine distinguée, et ses hôtes, Blaise et Katarina ; ceux de la table 13, la crapule Tom Sellers, qui « ressemble à un Picabia qui a mal dormi », affublé de deux comparses ; Edgar, le meilleur ami du narrateur, et sa fille de 9 ans, etc. Ce petit monde bien agencé, savoureusement décrit par notre serveur lettré aux yeux de lynx, voit sa tranquillité perturbée par l’irruption d’une lumineuse demoiselle, « femme-enfant » amie du Cochon, qui déstabilise le narrateur. Il s’emmêle dans ses commandes, sert du stravecchio et une sole à la mauvaise table, se blesse dans la cave… On frise l’anarchie. La plume de Faldbakken, de plus en plus irrévérencieuse, se fait scalpel. Le Hills perd de son lustre. Et la littérature gagne un talentueux trublion.