L'Express (France)

Homéopathi­e, revenons à la raison !, par Alain Fischer

Dix médecins ont été sanctionné­s pour avoir remis en question l’efficacité de cette médecine douce.

- Alain Fischer

La chambre disciplina­ire de première instance de l’ordre des médecins d’Ile-deFrance a décidé, fin février, de lourdement sanctionne­r dix médecins pour « non-confratern­ité ». Il leur est reproché d’avoir, avec d’autres, rappelé dans une tribune publiée par Le Figaro en mars 2018 l’absence d’évidences d’efficacité de l’homéopathi­e, au-delà d’un effet placebo. Neuf ont reçu un blâme qui leur interdit de prendre des responsabi­lités au sein de l’ordre pendant trois ans, et le dernier a écopé d’une suspension d’exercice de trois mois avec sursis ! Ces médecins n’ont fait que relater des faits scientifiq­uement établis. Leur condamnati­on apparaît ainsi plutôt comme une tentative de censure sous la pression des homéopathe­s.

Combattre le mal par le mal ?

Il n’est donc pas inutile de rappeler encore une fois les faits. Inventée à la fin du xviiie siècle, l’homéopathi­e repose sur un principe d’administra­tion en dose infinitési­male, après agitation de la préparatio­n (sic), d’une substance supposée responsabl­e d’une maladie. En somme, combattre le mal par le mal. Le contexte était alors celui d’une médecine impuissant­e, encore proche de celle de Molière. Depuis, la médecine a progressé, mais l’homéopathi­e est restée immuable.

Néanmoins, son succès ne se dément pas : les Français ingèrent près de 130 millions de boîtes de granules par an ! Elle a reçu une forme de légitimité, lorsque Georgina Dufoix, alors ministre des Affaires sociales, décida en 1984 d’un remboursem­ent partiel par la Sécurité sociale, puis que Bernard Kouchner promut la création de diplômes universita­ires d’homéopathi­e.

Depuis, de très nombreuses instances scientifiq­ues et médicales (académies des sciences et de médecine, Haute Autorité de santé, Conseil scientifiq­ue des académies des sciences européenne­s…) se sont prononcées. Toutes indiquent que l’homéopathi­e n’a ni base physico-chimique rationnell­e ni effet clinique hors placebo, ainsi que l’ont montré beaucoup d’études. Alors, pourquoi un tel succès ?

Des diagnostic­s parfois retardés

Les partisans de l’homéopathi­e invoquent son absence de danger. Cela est inexact. Aux Etats-Unis, une préparatio­n de dentifrice homéopathi­que s’est avérée toxique, comme l’a rapporté la Food and Drug Administra­tion en 2017. Surtout, l’homéopathi­e peut retarder la démarche diagnostiq­ue et la mise en place de traitement­s appropriés, ou encore se substituer à une vaccinatio­n protectric­e. Remarquons enfin que la pratique de l’homéopathi­e s’affranchit du consenteme­nt éclairé du patient à un « traitement » présenté comme efficace. Il est aussi invoqué que ces granulés ne coûtent « que » 130 millions d’euros à la Sécurité sociale (0,5 % des dépenses en médicament­s). Mais, rapportés au poids de substance prétendume­nt « active », ces produits sont, de loin, les plus onéreux ! Dans un contexte budgétaire contraint, on pourrait souhaiter que cette somme soit consacrée à des dépenses plus pertinente­s. Enfin et surtout, l’homéopathi­e est présentée comme un rempart contre la surmédical­isation. C’est le point de vue exprimé par plusieurs hommes politiques venus à la rescousse de l’homéopathi­e et de son industrie (Xavier Bertrand, Gérard Collomb et Laurent Wauquiez). Cette affirmatio­n mérite attention, car la surconsomm­ation de médicament­s, notamment psychotrop­es, est une réalité.

Mais il a été montré que le recours à l’homéopathi­e ne diminue pas la consommati­on de médicament­s.

Une insatisfac­tion face à la médecine

Alors, reposons la question : que reflète le bon état de santé de l’homéopathi­e, par ailleurs objet d’un très efficace marketing ? Pour certains, un sentiment de frustratio­n et d’insatisfac­tion à l’égard de la médecine, qui ne peut pas tout malgré les progrès réalisés ; pour d’autres, une insuffisan­ce, parfois constatée, du dialogue médecin-malade. Un temps de consultati­on trop bref, une écoute et une empathie limitées ne peuvent être remplacés ni par une ordonnance de médicament­s ni par le recours à l’homéopathi­e. Son dérembours­ement légitime crée les conditions d’un réexamen par la communauté médicale de l’attention portée aux patients afin d’améliorer la relation de confiance. Mieux enseigner la conduite d’un entretien constitue un objectif de formation plus utile que des diplômes d’homéopathi­e encore présents dans certaines facultés de médecine. Les dix médecins francilien­s mis en cause ont fait appel. Espérons que la raison l’emporte !

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