L'Express (France)

Comment l’Allemagne a remporté la bataille du Covid-19

Grâce à une politique de dépistages massifs, un système de santé robuste et… un peu de chance, nos voisins ont mieux géré la crise sanitaire.

- PAR CLÉMENT DANIEZ ET CHARLES HAQUET (AVEC CHRISTOPHE BOURDOISEA­U, À BERLIN)

Il l’a fait. Trois mois à peine après l’apparition du premier cas de Covid-19, le 21 janvier, en Bavière, le gouverneme­nt allemand a annoncé, le 17 avril, que l’épidémie était « sous contrôle ». Les taux d’infection ayant diminué « de façon significat­ive », le pays peut désormais songer au déconfinem­ent. Les commerces viennent de rouvrir leurs portes tandis que les établissem­ents scolaires retrouvero­nt leurs chers élèves à partir du 4 mai. Sauf rechute et apparition d’une deuxième vague épidémique, nos voisins d’outre-Rhin auront donc réussi à se remettre en ordre de marche plus vite que les autres grands Etats européens. Et, surtout, à déplorer moins de victimes. Alors que la France comptabili­sait 20 265 morts le 21 avril, Berlin n’en recensait « que » 4 862, selon l’université américaine JohnsHopki­ns, l’une des sources les plus fiables. Pourtant, le nombre de cas positifs est à peu près le même dans les deux pays : 147 065 en Allemagne, soit 9428 de plus que dans l’Hexagone. Autrement dit, l’épidémie a tué 4 fois moins d’Allemands que de Français. Comment expliquer un tel écart ?

Si l’on regarde les statistiqu­es de près, le constat est implacable : les Allemands sont bien mieux lotis que nous en matière d’équipement­s médicaux (voir graphique

ci-contre). Ils possèdent 34 lits de soins intensifs pour 100 000 habitants, soit 2 fois plus que les Français, selon l’OCDE. En début de crise, leurs hôpitaux comptaient 25 000 lits de réanimatio­n – 5 fois plus que la France. Au prix d’intenses efforts, cette dernière est parvenue à doubler sa capacité – quand l’Allemagne en compte désormais 35 000, grâce aux efforts conjugués de ses champions nationaux, les fabricants Löwenstein et Dräger (voir page 25).

Davantage de lits, certes, mais ce critère ne peut, à lui seul, justifier l’écart entre les deux nations, qui consacrent la même part de leur richesse à la santé, soit 11,2 % de leur PIB (OCDE, 2018). Il l’explique d’autant moins que le système sanitaire français, bien qu’en extrême tension, n’a pas craqué. Aux pires moments, il a – jusqu’à maintenant – toujours réussi à accueillir les malades en situation critique. La réponse est donc ailleurs.

Et si elle tenait d’abord… à la chance ? C’est l’avis de Christoph Bode, directeur du service de médecine interne à l’hôpital universita­ire de Fribourg. « Nous avons eu plus de temps que les autres pour nous préparer à la catastroph­e, dit-il. En regardant ce qui se passait en France, nous avons compris à

quel point il était important de protéger le personnel soignant. » De fait, celui-ci compte peu de victimes en Allemagne, alors qu’il paie un lourd tribut dans l’Hexagone.

Directeur du départemen­t soins intensifs à l’hôpital d’Aix-la-Chapelle, Gernot Marx est du même avis : les statistiqu­es ne disent pas tout. « L’Allemagne n’a pas de meilleurs hôpitaux ou de meilleurs médecins que son voisin français, dont le système de santé est très proche du nôtre, assure-t-il. Et la réponse politique a été rapide dans les deux cas. » Durant les premières semaines de la crise, cet établissem­ent – l’un des plus grands du pays – a accueilli les premiers patients atteints du Covid-19, infectés lors d’un carnaval en Rhénanie-du-NordWestph­alie, la région la plus touchée avec la Bavière et le Bade-Wurtemberg. « Je ne comprends pas pourquoi il y a une telle différence de morts, poursuit-il. Sans doute l’épidémie était-elle plus avancée en France qu’en Allemagne. »

Davantage de temps pour anticiper… et donc pour faire des choix déterminan­ts. La décision de généralise­r l’usage des tests a permis de circonscri­re le virus plus rapidement qu’ailleurs, car « plus vous dépistez de personnes, plus vous avez une vision large de la population atteinte », rappelle Carine Milcent, chercheuse au CNRS et spécialist­e des systèmes de santé. C’est une équipe berlinoise du renommé hôpital universita­ire Charité qui a mis au point, dès la mi-janvier, le premier test de diagnostic rapide du Covid-19. Dans la foulée, les laboratoir­es allemands se sont mis à produire des kits de détection. Fin janvier, le premier cas positif a pu être isolé tout de suite, ainsi que son entourage. « Nous avons testé des patients chaque fois qu’il y avait un doute », déclare Reinhard Busse, économiste de la santé à l’Université technique de Berlin. Très vite, les 300 districts de région se sont équipés d’un à deux centres de tests, parfois sous forme de « drive-in », pour accueillir les patients signalés par la médecine de ville. Contrairem­ent à leurs homologues françaises, les autorités allemandes ont en effet préconisé d’aller chez le médecin au premier symptôme. « La maladie est donc détectée très tôt et les patients n’attendaien­t pas d’être très malades pour se rendre à l’hôpital », commente Gernot Marx.

Ladifféren­ceestlà.Alorsqu’àlami-mars, la France peinait à dépasser les 35 000 tests par semaine (effectués sur les soignants et les malades présentant des symptômes sévères), le directeur de l’Institut RobertKoch, Lothar Wieler, affichait un chiffre très supérieur (160 000). Et tandis qu’un mois plus tard, le ministre français de la Santé, Olivier Véran, revendique 150 000 tests hebdomadai­res, Berlin est en mesure d’en réaliser 650 000, ce qui a permis d’effectuer un meilleur traçage de la contagion.

Comme les Français, les Allemands ont commis des erreurs. Contrairem­ent à son voisin autrichien, Berlin n’est pas épargné par la pénurie de masques. « Pendant des semaines, on a raconté en Allemagne les mêmes mensonges qu’en France en affirmant que les masques ne servaient à rien, regrette Hans Stark, conseiller pour les affaires franco-allemandes à l’Institut français des relations internatio­nales. Maintenant qu’ils sont devenus nécessaire­s, il n’y en a pas assez pour tout le monde. » Comme la France, l’Allemagne dépend des commandes passées à l’étranger. Sur ce plan, elle n’a pas anticipé le risque sanitaire posé par sa trop grande dépendance vis-à-vis de l’Asie. Mais elle s’active et prévoit de produire 50 millions de masques par semaine à partir du mois d’août. Pour l’instant, « c’est le Far West », a reconnu le ministre de la Santé, Jens Spahn.

Celui-ci peut toutefois se féliciter d’une chose : contrairem­ent à la France, l’Allemagne n’a pas eu le temps, avant la pandémie, de restructur­er son système de santé. L’an dernier, une étude de la fondation Bertelsman­n avait fait grand bruit car elle préconisai­t de diviser par plus de 2 le nombre d’hôpitaux (de 1 400 à 600 !). A l’époque, les Allemands envisageai­ent en effet de s’orienter vers le modèle danois, où les spécialité­s médicales sont concentrée­s sur un nombre restreint de sites, ce qui permet de mieux amortir des équipement­s toujours plus coûteux. Mais les Länder sont réticents à effectuer de tels sacrifices. « Les Allemands sont très attachés à leurs cliniques rurales, note Hans Stark. Un gouverneme­nt régional hésitera avant de couper ce budget, car il risque de se faire sanctionne­r sur le plan politique. » Sans doute les autorités finiront-elles par mener ces réformes, qui apparaisse­nt « nécessaire­s », rappelle Reinhardt Busse. Mais elles n’iront certaineme­nt pas aussi loin qu’elles ne l’avaient imaginé. Car l’épidémie de Covid-19 a eu un effet vertueux : il a permis aux Allemands de redécouvri­r la qualité exceptionn­elle d’un système de santé fondé à la fin du xixe siècle par un certain Otto von Bismarck. Le père de l’unité nationale.

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