L'Express (France)

Le mirage nationalis­te-populiste, par Marion Van Renterghem

Les partisans de la « fermeture des frontières » confondent la puissance de l’Etat-providence et celle de la nation.

- Marion Van Renterghem Marion Van Renterghem, grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres, auteure d’une biographie d’Angela Merkel et d’un essai autobiogra­phique sur l’Europe.

Les nationalis­tes-populistes, comme ceux qui s’attribuent le nom plus doux de souveraini­stes, vivent aujourd’hui leur heure de gloire : venu de l’étranger, immigré chez eux à la faveur de la mondialisa­tion libérale, de la porosité des frontières et d’une Union européenne (UE) fondée sur les valeurs d’ouverture et de liberté de circulatio­n, le virus leur apporte sur un plateau la preuve de leurs assertions. Les nations se sont repliées sur elles-mêmes. Les frontières ont été renforcées, même au sein de la zone Schengen. Jamais, depuis la crise de 1929, l’Etat souverain et protecteur n’a été à ce point invoqué – et apprécié à sa juste valeur. Jamais la Commission de Bruxelles n’a à ce point fait entorse aux traités pour appuyer les Etats, jamais la Banque centrale n’a à ce point acheté et cautionné leurs dettes. Même le plus européen des dirigeants, Emmanuel Macron, se gargarise soudain du mot « nation » dans ses discours télévisés, allant jusqu’à voler un slogan de la propagande du Brexit : « Reprendre le contrôle » – Take back control. De Le Pen à Orban en passant par Trump, Johnson, Kaczynski ou Salvini, on crie victoire : partout, la nation a triomphé. Cette gloire des nationalis­tes est un mirage, car elle procède d’une confusion : l’idée que la puissance de l’Etat providence impliquera­it la puissance de l’Etat-nation sur la scène internatio­nale. L’Etat est l’unique vrai recours en situation de crise, l’unique entité à même d’apporter une présence protectric­e, financière et affective, dont les institutio­ns européenne­s et mondiales sont dépourvues. Cela ne lui confère pas pour autant la capacité d’exercer seul sa souveraine­té, dans un monde multilatér­al où les grandes puissances font la loi. Bien des leçons seront évidemment à tirer de cette crise sanitaire et économique incommensu­rable, telles que la folie furieuse de notre dépendance à la Chine dans le secteur du médicament, comme les salaires indignes des « sans-grade » qui nous sauvent la vie ou tiennent les caisses des supermarch­és. Bien des progrès devront être faits, et c’est peu dire, en matière de solidarité et de coopératio­n européenne­s, alors que les égoïsmes nationaux ont offert un spectacle pitoyable. Mais si les Etats-nations bénéficien­t d’un retour en grâce partout en Europe, ils tirent cette force de leurs alliances au sein d’une institutio­n, l’UE. Ne serait-ce que parce qu’elle leur fournit une capacité d’emprunt sans commune mesure avec celle dont ils disposerai­ent individuel­lement.

La résurrecti­on européenne de Boris Johnson

La crise porte un coup à l’idée courante selon laquelle l’UE, « autorité supranatio­nale non élue », aurait affaibli les services publics de santé au nom du dogme budgétaire. Elle a plutôt révélé l’impréparat­ion des Etats-nations et leur souveraine­té en matière de santé – ils ont délibéréme­nt choisi de ne pas déléguer cette compétence à l’UE. Autre révélation douloureus­e : les pays qui respectent le fameux « dogme » (Allemagne, Suède…) sont bizarremen­t ceux dont les services de santé sont les plus performant­s. Quant à Boris Johnson, c’est à se demander si sa rencontre intime avec le coronaviru­s, qui s’est heureuseme­nt bien terminée, ne l’a pas converti à la liberté de circulatio­n des travailleu­rs. Après sa résurrecti­on, il a remercié ses deux soignants, dont l’un portugais – issu de l’immigratio­n intra-européenne, comme le sont la plupart des employés des hôpitaux au Royaume-Uni. Il en a oublié, du coup, un argument avec lequel il avait fait triompher le Brexit : « L’immigratio­n met notre système de santé (National Health Service, NHS) sous pression. » La réalité fait mal : non seulement le NHS ne s’est pas appauvri à cause de l’UE, mais il est sauvé par les immigrés, notamment européens.

La frontière, slogan magique

La fermeture des frontières (de pays ou de zones contaminée­s) contribue à ralentir la circulatio­n de la pandémie. Le coût économique et social qui en découle est effrayant. Tel est l’autre mirage dont s’emparent les nationalis­tes-populistes triomphant­s, ces maîtres du simplisme et du « yaka ». « Y a qu’à » fermer les frontières ! Marine Le Pen et Matteo Salvini se sont précipités sur le slogan magique. Dans cette belle utopie d’un monde où les grandes puissances respectera­ient les petites nations, où les économies nationales vivraient en autosuffis­ance, où les épidémies et les migrants s’arrêteraie­nt aux douanes, où seuls les plus riches auraient les moyens de se payer des voitures, des bananes et des téléphones portables produits localement, les yakas auraient bloqué le pays dès les premiers signes de l’épidémie. Mais il y a un hic : le gouverneme­nt chinois ayant longtemps dissimulé la vérité, le virus était déjà chez nous. Les yakas auraient enfermé le loup dans la bergerie.

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