Jair Bolsonaro, triste clown
Le président ne croit pas à la dangerosité du coronavirus et écarte ceux qui soutiennent le contraire. Comme son ministre de la Santé.
Depuis sa campagne présidentielle, on ne l’avait jamais vu autant dans la rue. Le 10 avril, à Brasilia, c’est un Jair Bolsonaro en bras de chemise qui quitte le palais de Planalto pour visiter l’Hôpital des forces armées, avant de faire un crochet par une pharmacie – où il serre la main à des partisans – et d’aller fêter l’anniversaire de son plus jeune fils, Renan. La veille, il avait mangé sur le pouce dans une boulangerie de la capitale. Une journée comme les autres pour le chef de l’Etat brésilien, qui, malgré la pandémie, ne veut pas entendre parler de confinement.
Jair Bolsonaro est en effet un des rares dirigeants de la planète à minimiser la dangerosité du Covid-19. Sa priorité est ailleurs : la reprise rapide de l’économie.
A coups de provocations contre tous ceux qui défendent les mesures de quarantaine, il s’est mis à dos la majorité des gouverneurs locaux… et son propre ministre de la Santé, qu’il vient d’ailleurs de limoger. Pendant ce temps, le bilan sanitaire continue de s’aggraver. Loin d’avoir atteint son pic de contamination, le Brésil recensait, au 18 avril, 37 000 cas d’infection et 2 300 morts liés au coronavirus – des chiffres probablement sous-estimés.
Le dédain présidentiel à l’égard des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé a forcé les gouverneurs des Etats fédérés à prendre les devants. A la mi-mars, ils ont suspendu les spectacles avant d’ordonner la fermeture des écoles, des commerces et des plages. Sous leur pression, Bolsonaro a accepté – à reculons – de leur verser des aides fédérales.
A deux ans et demi du prochain scrutin présidentiel, le leader d’extrême droite refuse toutefois de voir son mandat entaché par la récession qui se profile à l’horizon. Le 24 mars, son discours se radicalise lors d’une allocution télévisée : Jair Bolsonaro exhorte les autorités locales à abandonner les restrictions. Et l’ancien capitaine de réserve de se targuer de son « passé d’athlète » : « Si j’étais contaminé, je ne sentirais rien, je serais atteint, tout au plus, par une petite grippe », a-t-il fanfaronné devant les téléspectateurs.
Pour Ronaldo Caiado, c’en est trop. Allié de la première heure du président, le gouverneur de l’Etat du Goiás décide de rompre tout contact avec lui. « Il pense qu’il peut gouverner selon son humeur ; il s’assoit et il désavoue tout le monde », s’indigne cet ancien médecin. De son côté, Joao Doria, élu en 2018 à la tête de l’Etat de Sao Paulo après avoir surfé sur la vague bolsonariste, s’en prend directement au leader populiste lors d’une réunion : « Comme président de la République, vous devez montrer l’exemple […], conduire le pays et non le diviser », assène cet homme d’affaires millionnaire à qui l’on prête des ambitions présidentielles. « Gardez vos observations pour les élections de 2022, lui répond Jair Bolsonaro, quand
vous pourrez distiller toute votre haine et [votre] démagogie. »
Quelques jours plus tard, le président semble soudain plus conciliant : il appelle à « un grand pacte pour la préservation de la vie ». Le répit sera de courte durée : Bolsonaro menace dans la foulée de signer un décret obligeant les commerces et les entreprises à rouvrir leurs portes. Et, lorsque la justice brésilienne prend la défense des autorités locales, le dirigeant répond que « le chômage aussi entraîne la mort », soulignant que les mesures restrictives sont « de la responsabilité exclusive » des gouverneurs.
Au sommet de l’Etat, Jair Bolsonaro avait, ces dernières semaines, identifié un autre adversaire : son ministre de la Santé, Luiz Henrique Mandetta. Flanqué du gilet bleu du service public de santé, ce médecin de profession, partisan d’un « maximum d’isolement social », incarnait la voix de la raison. Une voix qui portait, puisque le ministre avait vu sa popularité grimper en flèche, au grand dam du président, qui n’avait pas hésité à le désavouer en public, lui reprochant notamment son « manque d’humilité ».
En coulisse, le chef d’Etat n’a cessé d’oeuvrer pour obtenir sa démission. Soutenu par le Congrès et par plusieurs ministres, dont celui de l’Economie, Mandetta s’est accroché. Le 12 avril, pourtant, il craque : « Les Brésiliens ne savent pas s’ils doivent écouter le ministre ou le président », déclare-t-il, irrité, lors d’une interview télévisée. Ces propos sont vus comme un acte d’insubordination et Jair Bolsonaro a enfin la voie libre pour remercier ce collaborateur trop encombrant. Quatre jours plus tard, Luiz Henrique Mandetta est limogé et remplacé par Nelson Teich, un médecin favorable au confinement, mais « aligné » sur le président.
Le pari est risqué. « Sur le plan sanitaire, c’est une erreur, car le nouveau ministre va mettre du temps à comprendre le fonctionnement administratif, alors que le Brésil a besoin de réponses rapides. Sur le plan politique, le président va encore plus s’isoler des gouverneurs et du Congrès, avec lesquels il est incapable de négocier. Si la situation dégénère, la population le tiendra pour responsable », avertit Mauricio Santoro, professeur de sciences politiques à l’université d’Etat de Rio de Janeiro. Dans un tel contexte, le pays n’est pas à l’abri d’un coup de théâtre politique. Reste à savoir qui en sortira gagnant.