Les « nouveaux faucons » de Xi Jinping prennent leur envol
Sur tous les continents, des diplomates chinois multiplient les messages agressifs à l’égard de l’Occident et les fausses informations, relayés par les réseaux sociaux.
Il avait déjà été rappelé à l’ordre par le Quai d’Orsay. Mais Lu Shaye, ambassadeur de Chine à Paris, a récidivé, via un texte anonyme publié sur le site de sa représentation diplomatique qui stigmatise les « aigreurs » de l’Occident face à la « victoire de la Chine sur l’épidémie » et accuse la France d’avoir laissé mourir de faim et de maladie les personnes âgées dans les Ehpad. Passablement agacé par ces énièmes outrances, Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, a convoqué le diplomate de 55 ans le 14 avril.
Pékin a évoqué des « malentendus ». Pourtant, Lu Shaye s’était déjà illustré en janvier 2019 lorsqu’il était ambassadeur à Ottawa, en pleine crise sino-canadienne. Après l’arrestation à Vancouver de la directrice financière du géant des télécoms Huawei, il avait dénoncé « l’égoïsme occidental » et le « suprémacisme blanc ». Ces saillies lui valurent d’être promu à Paris quelques mois plus tard.
Lu Shaye est loin d’être le seul diplomate chinois à multiplier les déclarations au vitriol et les fake news, abondamment relayées sur les réseaux sociaux, dont Twitter (une application pourtant interdite dans l’empire du Milieu). L’un des plus virulents, Zhao Lijian, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a suggéré le mois dernier que le coronavirus a été introduit en Chine par l’armée américaine. Dans son poste précédent, au Pakistan, il s’était livré à un pugilat sur Twitter avec Susan Rice, ex-conseillère à la sécurité nationale de Barack Obama.
Marquant une nette rupture avec la posture de profil bas prônée par l’ancien dirigeant Deng Xiaoping, ces « nouveaux faucons » de la diplomatie chinoise ont pris leur envol depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, fin 2012. Particulièrement actifs ces derniers mois en Afrique du Sud, au Pérou, au Kazakhstan, en Suède ou en France, ils ont reçu pour instruction spécifique de la part de « l’empereur rouge » de défendre bec et ongles le régime communiste. « Ces hauts fonctionnaires parlent surtout au “président à vie”, à qui ils cherchent à plaire pour grimper les échelons, et à leur opinion publique, en martelant la propagande officielle », décrypte JeanMaurice Ripert, ambassadeur en Chine de 2017 à 2019. Quitte à déraper.
Cette attitude s’intensifie à la faveur de la pandémie de Covid-19. La Chine, accusée par l’Occident d’avoir caché la vérité et sous-estimé le nombre de victimes sur son sol, contre-attaque. « Cette agressivité traduit aussi un malaise interne : une partie de la population est mécontente de la gestion de la crise, et Xi Jinping est contesté par une frange du Parti. Le régime joue la carte du nationalisme, en se bagarrant contre le monde entier, pour essayer de souder le pays », complète Jean-Pierre Cabestan, sinologue à l’Université baptiste de Hongkong. La Chine a beau proclamer la supériorité de son système face au Covid-19, elle sait qu’elle devra tôt ou tard rendre des comptes à son peuple et au reste de la planète. En attendant, elle cherche à détourner l’attention.