New Delhi découvre le ciel bleu
Dans la capitale indienne, la pollution a fortement diminué et chacun peut à nouveau respirer. Un changement que beaucoup souhaitent durable.
Parul Kumar habite un quartier huppé de New Delhi, Chanakyapuri, à deux pas des longues pelouses au cordeau des ambassades. Chaque matin depuis l’instauration du confinement, le 25 mars, pour cause de coronavirus, cette dirigeante de la Prabhaav Foundation, une ONG qui distribue des repas aux sans-abri, s’accorde une promenade le long du jardin public qui fait face à son domicile. Le plaisir de cette sortie rapide, tolérée par la police, est toujours renouvelé. « L’air est d’une clarté absolue, le parfum des fleurs est enivrant et les arbres n’ont jamais été aussi verts », s’enthousiasme cette sexagénaire. L’absence de voitures libère, selon elle, « une sorte d’euphorie, car on découvre qu’un autre monde est possible ».
Comme beaucoup, Parul Kumar a été surprise par la rapidité de ce changement radical d’atmosphère dans Delhi, une agglomération de 25 millions d’habitants, championne du monde des villes les plus irrespirables de la planète. L’indice de la qualité de l’air est soudain tombé à 45, ce qui signifie que celui-ci est « satisfaisant ». Sont notamment mesurées les particules fines, le dioxyde d’azote, l’ammoniac et le dioxyde de soufre. D’habitude, le chiffre tourne autour de 300 ou 400. Et, à l’automne, il fait des pointes à plus de 500.
« C’est comme si cette pandémie devait arriver pour nous faire prendre conscience que les solutions sont entre nos mains », estime Parul, devenue « très optimiste ». « On est nombreux à se dire qu’on ne continuera pas comme avant. » Son époux, Atul, qui dirige le service d’ophtalmologie du plus grand hôpital de New Delhi, le All India Institute Of Medical Sciences, est, lui, heureux de constater que ses patients ont « moins de problèmes » depuis un mois.
Enfermée dans son appartement de Greater Kailash, une zone résidentielle du sud de Delhi, Shilpi Goswami note de son côté que l’asthme sévère dont elle souffre depuis trois ans a un peu relâché son étreinte. « Je tousse toujours la nuit,
mais je me sens mieux, confie cette commissaire d’expositions. J’espère qu’on va prendre l’habitude de moins consommer. Ce sera la seule façon de réduire la production et donc la pollution. »
Les raisons pour lesquelles Delhi suffoque habituellement sont connues. Il y a d’abord les brûlis que les paysans pratiquent dans les plaines céréalières de l’Etat voisin de l’Haryana après la moisson. Il y a ensuite la circulation des 12 millions de véhicules. Et, enfin, l’activité industrielle, les centrales électriques au charbon et les chantiers de travaux publics.
« Jamais dans l’histoire de la ville on a observé une diminution de la pollution aussi forte », confirme Jasmine Shah, vice-président de la commission du dialogue et du développement du gouvernement de Delhi. Cette figure du Parti de l’homme ordinaire (AAP), au pouvoir dans la capitale, pense que le Covid-19 va donner envie aux élus « d’élaborer de nouvelles stratégies en faveur de l’environnement ». En partenariat avec l’université américaine de Washington, les autorités locales surveillent la qualité de l’air en temps réel, au moyen de 40 sondes. « Grâce au confinement, nous affinons nos mesures de manière très précise, car les quantités de polluants sont beaucoup plus faibles. Cela nous aidera à mieux les cibler lorsque l’activité redémarrera par paliers en mai prochain », assure Jasmine Shah.
Principale amélioration, la concentration en particules de moins de 2,5 microns de diamètre (PM 2,5) – très dangereuses parce qu’elles pénètrent en profondeur dans les poumons –, est tombée à 26 microgrammes par mètre cube (µg/ m3), à peine au-dessus du plafond recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (25 µg/m3/j, à ne pas dépasser plus de trois jours par an). Lors de récents pics, cette concentration a pu franchir la barre des… 1 000 µg/m3, au moins 50 fois plus que sur le périphérique parisien en temps normal. D’après le parti du Congrès, 60 000 habitants de Delhi seraient morts des suites de la pollution ces cinq dernières années.
« Tous les matins, je me pince », raconte aussi Vibha Galhotra, une artiste passionnée par le thème de la nature. Habitante d’Alaknanda, enclave bordée par une forêt urbaine, elle savoure le délice inédit d’ouvrir les fenêtres et d’éteindre les purificateurs d’air. « Pour la première fois de ma vie, j’entends les oiseaux chanter, ça me réveille avant l’aube, et, chaque fois, je sursaute. La nuit, je peux revoir les étoiles. J’ai également entendu dire que la rivière qui traverse New Delhi, la Yamuna, était redevenue bleue depuis que les usines ont cessé d’y déverser leurs effluents. » Pour qu’il en reste quelque chose, « il ne faudra surtout pas que l’économie reprenne le dessus comme si rien ne s’était passé », insiste-t-elle.
Certains ont toutefois du mal à se réjouir, à l’image du documentariste et militant écologiste Sohail Hashmi. « Ceux qui saluent l’air pur ont le luxe de pouvoir ne rien faire dans cette période terrible. Les centaines de milliers de travailleurs journaliers qui n’ont plus une roupie pour se nourrir et se loger se fichent bien, eux, de savoir si le ciel est bleu », assène celui qui ne croit pas à un déclic collectif. Dès la levée du confinement, le lobby automobile va « à nouveau bloquer le développement des transports publics », pronostique-t-il. Et les égouts vont « se remettre à vomir » dans la Yamuna. Beaucoup d’habitants de Delhi rêvent qu’il ait tort.