L'Express (France)

Une guerre par procuratio­n

Des mercenaire­s étrangers sont enrôlés, parfois contre leur gré, pour combattre les rebelles houthis.

- QUENTIN MÜLLER

C «e cessezlefe­u saoudien n’est qu’une manoeuvre politique et médiatique dans un moment où le monde est confronté à une pandémie. » Mohamed Abdelsalam, porteparol­e des Houthis, mouvement insurrecti­onnel yéménite d’obédience chiite, est formel : une paix, même provisoire, n’est pas d’actualité. La récente propositio­n de l’Arabie saoudite, à la tête d’une coalition militaire d’Etats arabes, ne mettra pas fin à cinq années d’une terrible guerre. Alors que le conflit a fait plus de 100 000 victimes, l’ouest du pays, et notamment la capitale, Sanaa, est toujours contrôlé par l’organisati­on rebelle, ellemême soutenue par l’Iran. Le théâtre des opérations reste, quant à lui, opaque : difficile d’identifier clairement l’ensemble des combattant­s qui affrontent les Houthis. « Les Saoudiens ont envoyé très peu d’hommes sur le terrain, excepté des conseiller­s militaires, explique François FrisonRoch­e, spécialist­e du Yémen au CNRS. Un nombre élevé de morts dans leurs rangs sèmerait en effet l’émoi dans le royaume. » L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis (EAU) n’y ont donc expédié leurs unités régulières qu’avec parcimonie, préférant avoir recours à des mercenaire­s.

Depuis plusieurs décennies, Abu Dhabi et Riyad – qui dispose du quatrième budget militaire au monde – n’ont cessé de renforcer leurs effectifs militaires en y intégrant des recrues d’autres pays. Un tiers des soldats des EAU seraient d’origine étrangère. Le pays a notamment eu recours en 2011 aux services de Reflex Responses, une société militaire privée créée par Erik Prince, le principal prestatair­e américain durant la guerre en Irak. Au total, 529 millions de dollars ont été dépensés pour embaucher et former des centaines de mercenaire­s originaire­s d’Amérique latine, souvent colombiens. A la fin de 2015, 1 800 de ces hommes ont été acheminés au Yémen.

Les deux leaders de la coalition arabe ont également recruté au Tchad, en Ouganda et au Soudan, là où la pauvreté peut inciter de jeunes hommes à s’embarquer dans une guerre lointaine. C’est le cas d’Ibrahim. Embauché par la société émiratie Black Shield au début de l’année, il a reçu une formation militaire, théoriquem­ent pour surveiller les frontières de l’émirat. « C’est ce que je croyais, mais le groupe entraîné avant moi a été envoyé au Yémen, raconte ce jeune Soudanais. On leur avait dit qu’ils iraient travailler pour des entreprise­s émiraties en Afrique du Sud. Nos passeports et nos téléphones ont été confisqués. » Ibrahim a tenté de s’enfuir avant d’être expédié sur le front avec d’autres malheureux. « Les Soudanais sont payés 300 dollars par mois et ils ont pour instructio­n de se replier en cas de combats trop intenses », révèle François FrisonRoch­e.

La coalition arabe s’appuie aussi sur des mercenaire­s locaux, à la loyauté parfois mouvante. « Pour un guerrier yéménite, les liens tribaux priment d’ordinaire sur la paie. Mais quand l’ennemi lui propose le double de sa solde, il peut changer de camp », souligne le chercheur du CNRS. En 2018, l’agence Associated Press avait révélé que l’Arabie saoudite avait recruté d’anciens militants d’AlQaeda dans la péninsule arabique, groupe implanté au Yémen. Un curieux mélange qui peut expliquer, en partie, l’impuissanc­e des coalisés face aux Houthis.

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