L'Express (France)

Angela Merkel, le calme dans les tempêtes

Alors qu’elle préparait son départ de la vie politique, la chancelièr­e est redevenue une figure très populaire outre-Rhin.

- C. Bo.

Les Anglais ont leur reine, les Allemands ont Angela Merkel. Comme Elisabeth II, la chancelièr­e est une personnali­té que l’on écoute religieuse­ment à chacune de ses apparition­s publiques. Sa conférence de presse du mercredi 15 avril n’a pas dérogé à la règle. Elle y a annoncé le relâchemen­t des restrictio­ns après une « fragile victoire d’étape » dans la lutte contre l’épidémie de Covis-19. Dans la foulée, personne n’a osé émettre la moindre critique…

« Mutti » dirige actuelleme­nt l’Allemagne comme une monarque. Le Parti social-démocrate (SPD), membre de la « grande coalition », suit sagement ses consignes. L’opposition libérale (FDP) et les écologiste­s jouent l’union sacrée, faute de mieux. Quant à l’extrême droite (AfD), qui se montrait si menaçante il y a encore quelques semaines, elle se disloque par manque de compétence­s.

On ne parle plus de ses adieux politiques et la question de sa succession n’est plus à l’ordre du jour. Même son plus grand détracteur, le conservate­ur Friedrich Merz, salue le « très bon travail » d’un gouverneme­nt qu’il avait qualifié de « minable » en octobre dernier. Le prétendant à la chanceller­ie et à la présidence du parti chrétien-démocrate (CDU) incarnait jusqu’à la mi-mars le dernier espoir de la droite néolibéral­e allemande pour faire barrage aux populistes. Ancien président du conseil de surveillan­ce de BlackRock (leader mondial de la gestion de fortunes) outre-Rhin, Merz préconise une réduction de l’Etat social. Un programme qui n’est plus dans l’air du temps, au moment où les Allemands (re)découvrent la qualité de leur système de santé.

A force de discussion­s en coulisses – elle y passe parfois des nuits entières –, la chancelièr­e a réussi à surmonter les lenteurs du fédéralism­e et à rassembler autour d’elle les barons des Länder, dont les politiques de restrictio­n varient pourtant d’une région à l’autre. « Cela relève du miracle », a-t-elle concédé, le 15 avril. En recherchan­t le consensus avec acharnemen­t, elle a au passage renforcé l’attachemen­t des Allemands au principe de subsidiari­té. Du reste, les trois quarts d’entre eux saluent l’action du gouverneme­nt dans la gestion de la crise, selon les sondages. Alors qu’elle préparait sagement son départ de la vie politique, prévu à l’automne 2021, Merkel se retrouve propulsée en tête de la liste des personnali­tés les plus populaires du pays. Elle n’ignore pas que la lutte contre cet « ennemi invisible » est le plus grand défi de sa carrière, celui qui marquera sans doute d’une empreinte indélébile ses seize ans de pouvoir.

Si les Allemands la plébiscite­nt, c’est qu’elle a toujours su rassurer lors des grandes tempêtes. Crise financière, crise de la dette, crise des réfugiés… Plus la tâche est compliquée, plus « Angela » est populaire. Même en 2015, lorsque des centaines de milliers de demandeurs d’asile passaient la frontière sans contrôle, sa cote dépassait encore 50 % !

Angela Merkel n’a jamais gouverné dans la précipitat­ion. Au risque d’être critiquée pour son manque de réactivité, cette physicienn­edeformati­onattendd’avoirsuffi­samment d’éléments et de mesurer le climat social pour décider. « Elle a toujours mené une politique de réaction, jamais de conviction, tempère Markus Linden, politologu­e à l’université de Trèves. Pragmatiqu­e, oui, mais sans vision d’avenir. »

Son style de vie ultra-modeste pour un chef de gouverneme­nt la place au-dessus de tout soupçon. Pendant son temps libre, elle mitonne des tartes aux pruneaux dans son appartemen­t. Pendant ses vacances, elle fait des randonnées en Autriche et se rend au Festival de Bayreuth, son unique rendez-vous mondain de l’année. Deux jours après son allocution solennelle à la nation, le 18 mars, la chancelièr­e est allée faire ses courses comme d’habitude dans son quartier, pour montrer l’exemple. Elle a acheté quatre bouteilles de vin et paquet de papier toilette. A la caisse, elle a respecté la règle de distanciat­ion sociale qu’elle avait elle-même édictée deux jours plus tôt.

Tandis que d’autres chefs d’Etat ou de gouverneme­nt gèrent la situation d’une façon martiale, Merkel ne se braque jamais, même quand on la traite de « nazie ». Cette fois-ci, elle aborde la crise avec une touche sociale et humanitair­e. Donald Trump et Emmanuel Macron déclarent la « guerre » au Covid-19 ? La chancelièr­e préfère jouer l’apaisement en appelant à la « responsabi­lité de chacun ». « Elle n’a pas cette attitude impériale que peuvent avoir d’autres dirigeants pour s’adresser à leurs administré­s, ajoute Gero Neugebauer, politologu­e à l’université libre de Berlin. Surtout, avec elle, les Allemands ne craignent pas de perdre leurs économies », ironise-t-il. Car Merkel, c’est un peu Germany First sans le dire ouvertemen­t. Si elle a toujours refusé la mutualisat­ion des dettes en Europe, c’est que les Allemands n’en veulent pas. Elle n’en démordra pas. Pas d’eurobonds « tant que je serai en vie », avait-elle assuré il y a dix ans à ses alliés libéraux du FDP. A quoi les députés avaient répondu : « Longue vie à la chancelièr­e ! »

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La chancelièr­e, ici lors d’une conférence de presse à Berlin le 11 mars dernier, en appelle à la responsabi­lité de chacun dans la gestion de la crise.

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