L'Express (France)

Dans le quartier d’enfance de « BoJo », flegme et débrouille

A Primrose Hill, où vit encore le père du Premier ministre, les habitants cherchent à s’y retrouver dans le dédales des aides gouverneme­ntales.

- PAR AGNÈS POIRIER (À LONDRES)

Avant le confinemen­t, les habitants de Primrose Hill, un quartier du nord de Londres, avaient l’habitude d’apercevoir Stanley Johnson, le père du Premier ministre britanniqu­e, faire ses courses seul, facilement reconnaiss­able à ses cheveux ébouriffés et à sa démarche un peu maladroite, son grand cabas à la main. Ces temps-ci, celui qui sera bientôt octogénair­e se fait plus rare, Covid-19 oblige. Les seules fois où il s’aventure dehors, quelques passants lui demandent, à distance, des nouvelles de son fils. S’il est aujourd’hui rassurant, il n’est pas dupe : il s’en est fallu de peu que papa Johnson perde son fils aîné dans la pandémie – et le pays, son Premier ministre.

Aujourd’hui embourgeoi­sé mais encore ignoré des touristes qui lui préfèrent le marché de Camden Town, ce quartier typiquemen­t londonien situé non loin de Regent’s Park a conservé des allures de village de province. Au numéro 40 de Princess Road, l’école primaire publique en brique rouge, celle-là même où Boris Johnson fit ses classes au début des années 1970, ne résonne plus des cris des enfants, confinés chez eux depuis le début du lockdown, imposé le 23 mars. Seul Princess News, le marchand de journaux pakistanai­s au coin de Chalcot Road, est ouvert, mais les habitants, par précaution, préfèrent consulter la presse en ligne.

C’est le cas de Kiki Morris qui, avec son mari Jon et leurs trois enfants âgés de 7 à 14 ans, logés dans une maison victorienn­e étroite typique du quartier, n’entre plus dans aucune boutique. Le ravitaille­ment est assuré exclusivem­ent par le service de livraison à domicile de la chaîne de supermarch­és Waitrose. Ce n’est pas non plus le moment de trop dépenser. Jon travaille dans l’événementi­el et toute son activité s’est arrêtée du jour au lendemain. « Nos revenus ont été coupés net », témoigne Kiki, dont les cours de yoga pour seniors ne peuvent pas facilement se faire en ligne. Jon passe ses après-midi sur le site du ministère de l’Economie à essayer de comprendre s’il est éligible aux aides gouverneme­ntales. « On espère pouvoir reporter le paiement

de nos taxes foncières et même, peut-être, une partie de nos impôts locaux, commente sa femme. En fait, ce n’est pas très clair. »

Il y a encore six ans, Kiki travaillai­t pour le système de santé publique (le NHS). Médecin en gériatrie, elle s’est ensuite reconverti­e dans l’enseigneme­nt du yoga. Elle fait actuelleme­nt partie des 750 000 Britanniqu­es qui ont postulé pour prêter main-forte aux soignants du pays. Son instinct d’ancien médecin aidant, elle a anticipé les directives gouverneme­ntales, plusieurs semaines avant le confinemen­t officiel. « Au début, la stratégie de Boris Johnson était confuse. C’est à ce moment que beaucoup de gens ont attrapé le virus, lui compris ! Nous, nous avons décidé de retirer notre petit dernier de sa classe deux semaines avant la fermeture des écoles. »

Quand le confinemen­t a démarré, Martha Swift, la patronne de Primrose Bakery, pâtisserie à la devanture rose bonbon du 69 Gloucester Avenue, pensait quant à elle fermer sa boutique jusqu’à nouvel ordre. Les enfants de l’école et leurs parents, ses principaux clients, s’étaient évaporés, et les commandes de ses fameux cupcakes et autres gâteaux nappés d’une épaisse couche de sucre glace aux couleurs extravagan­tes étaient annulées les unes après les autres. Avec 13 collaborat­eurs ayant trop peur d’emprunter les transports en commun pour se rendre sur place, elle n’arrivait pas non plus à savoir si les pouvoirs publics allaient avancer le salaire de ses employés pendant le lockdown.

Avec l’aide de sa fille et de deux amies, Martha décide finalement de reconfigur­er complèteme­nt sa production. « Je me suis dit que si je fermais, je ne rouvrirais plus jamais, raconte-t-elle. Un business doit tourner coûte que coûte. » Opérant désormais onze heures par jour et cinq jours sur sept, Primrose Bakery est devenu un commerce de vente à emporter. « Notre vendeuse prend les commandes sur le pas de la porte avec gants et masque. Les paiements s’effectuent sans contact. Nous offrons café et thé à emporter et vendons jusqu’à 300 cupcakes par jour. » Martha a eu quelques frayeurs avec ses fournisseu­rs. « Dans nos recettes, nous utilisons des produits français comme de la betterave congelée et de la fleur de sel, mais nous n’avons pas pu être livrés, alors on s’adapte. » Même tension du côté des livraisons de farine et de levure. « Les oeufs sont épargnés par les ruptures de stock. Heureuseme­nt, car nous en utilisons 600 par semaine. »

Quatre maisons plus loin, John et Michelle Van de North, deux avocats américains travaillan­t dans le capital-risque, vivent confinés avec leurs enfants de 10 et 13 ans. Quand ils ne font pas la queue devant Primrose Bakery ou la poissonner­ie, toujours ouverte, ils sont devant leurs écrans. Pour eux, la crise est synonyme de longues et intenses séances de télétravai­l : ils aident leurs clients – PME et grandes entreprise­s – à accéder aux aides gouverneme­ntales. « Alors qu’en Suisse ou en Allemagne, les démarches ne prennent que trois jours avant que l’argent arrive sur votre compte en banque, personne, en GrandeBret­agne, n’en a encore bénéficié. » Ces deux Américains n’ont guère partagé l’angoisse nationale au sujet de l’état de santé de Boris Johnson. Aujourd’hui, il en sort renforcé sur le plan polittque, estime John, malgré ses évidentes erreurs dans la gestion du confinemen­t. « Non seulement le Premier ministre est immunisé, mais il a vaincu le virus ! En un sens, cela conforte son penchant darwinien, non ? »

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Parmi les gestes barrière respectés : entrer dans les magasins au compte-gouttes.

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