Associations de victimes du Covid-19 , attention aux mirages !
Des collectifs de défense des personnes touchées par le Covid-19 ont éclos. L’issue de ces initiatives à forte résonance politique est incertaine.
Tôt ou tard se posera aussi la question de l’indemnisation du préjudice
Il aura suffi de quelques semaines, parfois de quelques jours, pour qu’éclatent les colères. Celle des assesseurs mobilisés lors du premier tour des élections municipales. Celle des familles de résidents en Ehpad. Celle des soignants, des travailleurs, des simples citoyens. Contre l’Etat, les employeurs, les ministres. Il aura suffi de quelques semaines, parfois de quelques jours, pour qu’apparaissent des associations, des collectifs, des volontaires surfant sur ces angoisses et se proclamant défenseurs des « victimes du coronavirus ».
Avec une réussite indéniable, Bruno Gaccio, excoauteur des Guignols, propose sur Internet des modèles de plaintes adaptées à chacun – personnel médical, patients... A la miavril, ces documents avaient déjà été téléchargés plus de 150 000 fois. Idem pour le site de l’Association française des victimes, malades et impactés du coronavirus, qui offre un espace pour déposer un témoignage. Près de 500 récits sont arrivés depuis la fin mars. « Les gens sont dans l’immédiateté, ils veulent agir tout de suite », confirme Mehdi Mebarki, l’un des cofondateurs.
Derrière cet engouement, le flou règne sur les méthodes, les objectifs et les moyens de ces collectifs. Certains sont organisés en association, d’autres se veulent plus informels. Ils se font parfois concurrence. Le vocable « coronavictimes », par exemple, renvoie à deux structures distinctes. La première, Coronavictimes, en un seul mot, est née à l’initiative de Michel Parigot, animateur du comité antiamiante de Jussieu. Fort de vingtcinq ans de combat, il décide, à la mimars, de créer une association dédiée au Covid19 pour demander des moyens de prévention et exiger que toutes les victimes soient soignées de la même manière. Mais voilà, quelques jours plus tôt (ou plus tard, selon les versions), un autre groupe – Corona victimes – en deux mots, cette fois – est créé. Ce dernier détient le nom de domaine coronavictimes.fr et apparaît très haut dans les moteurs de recherche, tandis que le premier est enregistré sous coronavictimes.net et n’émerge qu’à condition de taper l’adresse in extenso. Les uns et les autres feignent l’indifférence. « La publicité, c’est eux ; l’action, c’est nous », soupire un responsable de la première association. « Franchement, c’est sur nous que les gens tombent, alors on n’a pas trop à se plaindre », s’amuse un dirigeant de la seconde.
En réalité, pour une victime en quête d’informations, difficile de s’y retrouver. D’autant que beaucoup soupçonnent l’association Corona victimes – la seconde, donc – d’avoir surtout des objectifs politiques, et non de défense des individus. Son équipe de départ laisse deviner une certaine proximité avec la gauche, voire l’extrême gauche. On y trouve Manon Le Bretton, excandidate de La France insoumise aux européennes de 2019, parti qu’elle a quitté depuis en réaction aux tendances autoritaires de JeanLuc Mélenchon ; François Cocq, cofondateur du Parti de gauche (PG) avec le même Mélenchon ; Sacha Mokritzky, leader du Mouvement national lycéen, PG également ; Mehdi Mebarki, ancien conseiller numérique à l’Elysée sous François Hollande. Et l’avocat JeanBaptiste Soufron, qui conseille l’association anticorruption Anticor et ne déteste pas l’exposition médiatique.
Ils se revendiquent comme des citoyens apolitiques et font appel aux dons pour financer leur activité, mais leur idée initiale est bien de pointer les défaillances du pouvoir en s’associant, notamment, à la plainte des médecins contre les ministres. « On s’est lancé à la mimars, quand on a vu que tout cela allait dans le mauvais sens, qu’il y avait des injonctions contradictoires, qu’on était plus dans une gestion de la pénurie que dans la gestion de la crise », détaille Mehdi Mebarki. « Il s’agit de marquer le coup maintenant en termes de responsabilité politique, en rassemblant les témoignages et les preuves », précise JeanBaptiste Soufron.
Le gouvernement montrant des signes de fébrilité à l’idée de futures poursuites
judiciaires, d’autres ont voulu prendre date politiquement. Bien que très concrète en apparence, l’initiative de Bruno Gaccio est dans un esprit proche. « Je ne représente pas un collectif. Je suis un citoyen lambda, atil expliqué dans une émission diffusée sur le site Mediapart. On n’est pas là pour entraver l’action du gouvernement au moment de la crise. Mais plus pour dire : “Les gars, on est là, on vous regarde.” » Un citoyen lambda qui, ces derniers mois, a pris position pour défendre les gilets jaunes ou s’est investi auprès des grévistes protestant contre la réforme des retraites. Un citoyen lambda extrêmement populaire chez les mécontents du macronisme. « En ces temps de paralysie des contrôles sur l’action du gouvernement, les recours en justice ne sontils pas les seules actions de protestation possibles ? Ne se fontils pas le relais, sous une autre forme, de la contestation sociale qui gronde en France depuis des années, en dénonçant le manque de moyens qui affecte structurellement les services publics de santé ? » interroge Jessy Bailly, doctorant en sciences politiques à Sciences po Aix et à l’Université libre de Bruxelles.
Si personne ne nie la légitimité d’une critique de l’action gouvernementale, certains s’inquiètent du mélange des genres. Et de la déception provoquée, demain, chez des victimes persuadées de trouver là une compensation à leur préjudice. Les procédures engagées devant la Cour de justice de la République (CJR) contre les ministres ne déboucheront sur rien avant de longues années. « Ces actions s’inscrivent dans un débat politique et symbolique important. Mais elles ne répondent pas à la question de la réparation pour les gens qui auront perdu un emploi, de la mobilité, voire un proche à cause du Covid19, puisque la CJR n’a aucune compétence pour accorder des dommages et intérêts aux victimes », met en garde Pascal Nakache, avocat à Toulouse.
Si elles ne font pas l’objet d’un suivi poussé, les centaines de procédures judiciaires découlant de l’initiative de Bruno Gaccio pourraient, elles, s’enliser complètement. « Beaucoup de gens pensent que porter plainte, c’est agir. Non, la plainte, c’est ce qui fait du bruit au moment où on la dépose. L’action, c’est ce qui est fait ensuite, en contactant le juge d’instruction, en demandant des nouvelles du dossier », précise Michel Parigot, du comité antiamiante de Jussieu. L’avocat Fabien Arakelian, qui défend quatre familles de personnes décédées à l’Ehpad de Mougins, a choisi cette stratégie de plaintes soigneusement construites et individualisées. Avec un premier succès, puisque le procureur de Grasse (AlpesMaritimes) a ouvert une enquête préliminaire pour ses clients.
Au fur et à mesure que la colère va s’amplifier, de nouvelles victimes vont se manifester. Et des opportunistes vont tenter de profiter de ce désarroi. Aucune règle ne définit la notion « d’association de victimes », n’importe qui peut se déclarer comme telle. Un avocat a ainsi eu la surprise de recevoir un coup de téléphone d’une association de défense des consommateurs qui voulait s’associer à sa plainte. Les premiers à s’être lancés commencent à prendre conscience de leurs responsabilités et de leur obligation de répondre à ceux qui leur font confiance.
Tôt ou tard se posera aussi la question de l’indemnisation du préjudice. Pascal Nakache propose la mise en place d’une procédure simplifiée, à la manière de celle existant pour les cas d’accidents médicaux (sous l’autorité de l’Oniam). « Même si cela ne répond pas à la colère sociale, ce dédommagement simple et rapide donnerait aux victimes le sentiment qu’elles ont été entendues et que l’Etat admet que les choses n’ont pas été faites comme elles auraient dû l’être. Cela contribuerait à l’apaisement », insiste l’avocat toulousain. Peutêtre pas la lune promise, mais au moins quelques poussières d’étoiles.