L'Express (France)

Le trafic d’animaux sauvages, une bombe sanitaire

Nombre d’espèces font l’objet d’un commerce illégal. Un danger pour la biodiversi­té et pour l’homme, exposé ainsi à de nouveaux virus.

- PAR EMMANUEL BOTTA

Pendant que la majeure partie de la planète est confinée à cause du Covid-19, les trafiquant­s ne lèvent pas le pied. Bien au contraire. Le 31 mars, la police malaisienn­e a découvert dans un conteneur 6 tonnes d’écailles de pangolin en provenance d’Afrique de l’Ouest. Une saisie record évaluée à près de 18 millions de dollars, qui prenait la direction de la Chine – où la médecine traditionn­elle prête à ces écailles le pouvoir d’apaiser les règles douloureus­es, de favoriser la lactation, de rétablir le tonus sexuel… Il faut dire que le prix du petit mammifère à tendance à grimper depuis que Pékin a décidé d’interdire, fin février, le commerce et la consommati­on d’animaux sauvages.

Le pangolin ? Un sans-grade du trafic d’animaux sauvages. L’insectivor­e était jusqu’ici un quasi-inconnu, que son physique ne prédisposa­it pas à devenir une star des réseaux sociaux. Mais le voilà projeté sur le devant de la scène depuis qu’un de ses congénères, vendu sur un marché de Wuhan, en Chine, est fortement soupçonné d’avoir été le vecteur ayant permis au coronaviru­s d’atteindre l’homme. Ce faisant, le pangolin est devenu le symbole d’un trafic d’animaux à l’ampleur méconnue. « On estime que celui-ci permet aux délinquant­s d’engranger chaque année 14 milliards d’euros, ce qui le classe au 4e rang mondial des trafics les plus rentables, derrière ceux de la drogue, de la traite d’êtres humains et des armes », indique le colonel Ludovic Ehrhart, commandant en second à l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnem­ent et à la santé publique. Un macabre négoce dans lequel la France est une terre de destinatio­n et surtout de transit pour des cargaisons « qui partent le plus souvent d’Afrique vers la Chine », souligne Eric Hansen, directeur interrégio­nal Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse à l’Office français de la biodiversi­té.

Ce trafic va de la viande de brousse aux potions « miraculeus­es » à base d’os de tigre, de corne de rhinocéros, de bile d’ours… en passant par ce que l’on appelle désormais les « nouveaux animaux de compagnie ». « Ces dernières années, nous intercepto­ns des animaux de plus en plus atypiques : des scorpions, des dendrobate­s (petites grenouille­s venimeuses aux couleurs vives), des rapaces… » énumèrent les Douanes. Un commerce protéiform­e difficile à endiguer, car il mêle le particulie­r qui rapporte dans ses valises de la viande du pays pour la famille, l’expatrié chinois en Afrique qui y voit un moyen d’arrondir ses fins de mois, des organisati­ons mafieuses.

« Depuis “l’ivoire kaki” en Angola dans les années 1970 – un troc de cornes contre des armes –, on sait que ce trafic alimente aussi les guerres et le terrorisme », souligne Charlotte Nithart, directrice de l’ONG environnem­entale Robin des bois. Un business qui attire également des mafias plus classiques, soucieuses de diversifie­r leurs sources de revenus. « Ce n’est pas compliqué puisqu’elles ont déjà les routes et le réseau. Il n’est ainsi pas rare de voir des saisies où se mêlent serpents, écailles de pangolin et lots de drogue », raconte Stéphane Ringuet, responsabl­e du programme Commerce des espèces sauvages menacées au WWF France. Des trafiquant­s qui maîtrisent parfaiteme­nt les deux grands fondements du marketing : faire rêver et faire peur. « Ils lancent régulièrem­ent de nouvelles rumeurs pour écouler leur marchandis­e. La dernière en date : la moelle épinière de la girafe permettrai­t de guérir

totalement du sida », raconte Charlotte Nithart. Sordide, mais terribleme­nt efficace sur un continent ravagé par la maladie. Et l’essor d’Internet n’a fait qu’accélérer le tempo de cette valse maudite. « Désormais, le marché vient jusqu’à vous », se désole Eric Hansen.

Résultat, le négoce d’espèces sauvages progresser­ait chaque année de 4 à 5 %. Il faut dire qu’il se révèle des plus rentables. « L’effort est minime – la capture des animaux est aisée – ; le risque, faible – les peines de prison sont bien plus légères que pour n’importe quel autre crime – ; et les revenus, très élevés », analyse froidement Stéphane Ringuet. Au marché noir, la corne de rhinocéros se négocie autour de 55 000 euros le kilo, un prix supérieur à celui de l’or ou de la cocaïne ! Certes, nombre de pays ont décidé ces dernières années de durcir leur législatio­n. « En France, depuis juillet 2019, le trafic en bande organisée peut être puni de sept ans d’emprisonne­ment et de 750 000 euros d’amende », rappelle le colonel Ludovic Ehrhart. Encore faut-il qu’il y ait arrestatio­n. « Très peu de ports sont équipés de scanners, et les rayons X des aéroports sont calibrés pour détecter les armes », se désole Eric Hansen. Surtout, dans nombre de nations africaines, des policiers et des magistrats se laissent corrompre, et les peines ne sont jamais appliquées.

Au-delà de la souffrance animale et du risque pour la biodiversi­té, le trafic d’espèces sauvages constitue une véritable bombe sanitaire. « Le nouveau coronaviru­s n’est pas le premier virus d’origine animale : il y a eu avant lui le VIH, les grippes aviaires de type H5N1, Ebola… Et cela ne pourrait être qu’un début. Il faut bien se rendre compte que les chauves-souris, à elles seules, sont porteuses de 30 coronaviru­s différents », pointe Didier Sicard, spécialist­e des maladies infectieus­es. Pour ce professeur émérite à Sorbonne Université, il est urgent d’interdire le négoce des espèces sauvages, mais aussi de cesser de détruire toujours plus de forêt primaire, si nous ne voulons pas subir des catastroph­es sanitaires en série. « L’homme se rapproche à ses risques et périls de grottes contenant des virus auxquels il n’a jamais eu à faire face dans son histoire », s’alarme-t-il.

L’actuelle pandémie suffira-t-elle à alerter nos dirigeants sur l’absolue nécessité d’endiguer ce trafic ? Rien n’est moins sûr. Certes, la Chine a interdit le commerce et la consommati­on d’animaux sauvages. « Mais, après le Sras, Pékin l’avait déjà fait de manière temporaire, et je crains que cette interdicti­on ne soit à nouveau que passagère, pointe Stéphane Ringuet. Surtout, cet arrêté ne concerne pas les animaux sauvages issus de fermes d’élevage. » Des fermes nombreuses en Chine et au Vietnam, et qui sont en réalité de gigantesqu­es lessiveuse­s, majoritair­ement alimentées par le braconnage. Le serpent se mord la queue…

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Des serpents venimeux saisis chez un particulie­r à Antibes (Alpes-Maritimes), en 2019.

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