L'Express (France)

Quand sonnera l’heure des comptes pour la Chine

L’EXPRESS Pékin voulait accroitre son influence mondiale à la faveur de la pandémie. Un pari loin d’être gagné.

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Dans le film Wolf Warrior 2, sorti en 2017 et plus grand succès de tous les temps au box-office chinois, un Rambo communiste débarrasse l’Afrique de méchants mercenaire­s menés par un Américain, tandis que son compatriot­e, un héroïque médecin militaire, invente un vaccin qui sauve le continent d’une terrible maladie… Trois ans plus tard, c’est dans le monde réel que la Chine cherche à se donner le rôle de bienfaiteu­r de l’humanité. Proclamant sa « victoire » contre l’épidémie de Covid-19, dont elle est pourtant à l’origine, la République populaire a voulu profiter de cette séquence pour accroître son influence et avancer ses pions dans la course au leadership mondial face aux Etats-Unis.

A-t-elle réussi son pari ? Rien n’est moins sûr. « La Chine a pu dans un premier temps marquer quelques points sur la scène internatio­nale, en particulie­r auprès de l’Europe de l’Est et du Sud ainsi que des pays en développem­ent », en mettant en scène ses envois d’experts et de matériel sanitaire dans plusieurs Etats, analyse Jean-Pierre Cabestan, sinologue à l’Université baptiste de Hongkong. Mais aujourd’hui, à part des gouverneme­nts autoritair­es comme ceux de Recep Tayyip Erdogan en Turquie ou de Vladimir Poutine en Russie, qui continue à défendre sans réserve l’approche et le discours chinois sur ce fléau ?

L’idée de la prétendue supériorit­é de Pékin dans la gestion de la crise n’a pas résisté longtemps à l’analyse de nombreux observateu­rs. La stupeur passée, il lui a été rapidement reproché d’avoir muselé les lanceurs d’alerte, puis tardé à réagir et à prévenir le reste du monde, permettant au virus de se propager. L’agressivit­é des « faucons » de la diplomatie chinoise n’a fait qu’accentuer la suspicion, de même que les fake news d’un régime allant jusqu’à suggérer que le virus ait pu être introduit chez lui par l’armée américaine. Récemment, plusieurs grandes puissances ont exprimé leur défiance de concert, au grand dam de Pékin. Donald Trump, dont le pays est le plus durement touché, a mis en garde le géant asiatique contre d’éventuelle­s « conséquenc­es » s’il était « sciemment responsabl­e » de la pandémie. Le président américain a également jugé « impossible » le nombre de décès dus au Covid-19 officielle­ment avancé par la Chine (4 632 contre plus de 40 500 aux Etats-Unis au 20 avril), malgré un chiffre revu à la hausse, visiblemen­t pour faire taire les critiques. Emmanuel Macron n’a pas non plus caché ses réserves. « Des choses se sont produites que nous ne savons pas », a-t-il lâché au Financial Times. Sur la même longueur d’onde, le ministre des Affaires étrangères britanniqu­e, Dominic Raab, a déclaré que Pékin devra répondre à des « questions difficiles concernant l’apparition du virus et pourquoi il n’a pas pu être stoppé plus tôt ».

Cette vague d’irritation, voire de colère, ne se limite pas à l’Occident. Le Groupe des ambassadeu­rs africains à Pékin a demandé à la Chine – dont les pays qu’il représente sont pourtant très dépendants financière­ment – qu’elle mette fin aux actes de discrimina­tion récemment rapportés contre des Africains de Canton. Des pressions exercées sur les médias occidentau­x se sont également révélées contre-productive­s. Ulcéré, le tabloïd allemand Bild, qui a estimé la facture des dégâts nationaux à 149 milliards d’euros, a répliqué par un message au vitriol. Le coronaviru­s « entraînera tôt ou tard votre perte politique », a cinglé son rédacteur en chef, en s’adressant au président Xi Jinping.

Sur la défensive au niveau internatio­nal, Pékin affronte également de fortes secousses économique­s qui pourraient affaiblir sa puissance. Après un plongeon de près de 6,8 % au premier trimestre par rapport à l’an passé, le produit intérieur brut pourrait ne progresser que d’environ 1,5 % cette année, loin des 6,1 % atteints en 2019. De quoi faire potentiell­ement exploser le chômage en Chine, où une croissance d’au moins 5 % par an est nécessaire pour absorber les quelque 10 millions de nouveaux entrants sur le marché du travail. Une hantise pour le Parti communiste chinois (PCC), qui tire une grande partie de sa légitimité de sa capacité à permettre à la population de s’enrichir depuis quatre décennies. Xi Jinping va par ailleurs devoir renoncer à des promesses fortes : il ne pourra ni doubler le PIB entre 2012 et 2020 ni éradiquer l’extrême pauvreté pour célébrer en fanfare le centenaire du PCC l’an prochain.

Cette crise laissera des traces, et la Chine devra rendre des comptes, à son peuple comme au reste du monde. Conséquenc­e la plus évidente, l’Occident et ses alliés vont réduire leur dépendance à ce pays, notamment pour la fabricatio­n de médicament­s et de matériel sanitaire. Si les Etats-Unis de Trump ont une nouvelle fois déçu en se repliant sur eux-mêmes et en décidant de suspendre leur financemen­t à l’Organisati­on mondiale de la santé, la Chine « est loin d’avoir démontré sa capacité à jouer un rôle de leader », constate Jean-Pierre Cabestan. En réalité, plutôt que de consacrer la puissance de l’empire du Milieu, la pandémie a surtout exacerbé la guerre froide déjà à l’oeuvre entre les deux superpuiss­ances. Et cela n’est pas vraiment plus rassurant.

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