Coronavirus : concours Lépine de l’émotion au Parlement
PAR JEAN-BAPTISTE DAOULAS Les propositions de loi pour soutenir les Français face à l’épidémie s’accumulent. Un piège politique pour le gouvernement.
O «n est chez les dingos », soupire un ministre en voyant s’allonger un peu plus chaque jour la liste des propositions de loi (PPL) des parlementaires sur la crise du coronavirus. En vrac, Jean-Luc Mélenchon et les députés de La France insoumise demandent un moratoire sur le paiement des loyers et une réquisition des entreprises du textile pour produire des masques ; Virginie Duby-Muller et le groupe LR proposent une exonération de droits de succession pour les héritiers de soignants décédés du Covid-19; plusieurs dizaines de députés LREM réclament un statut pour les enfants mineurs de ces soignants. Impossible de remettre en cause la sincérité de chacune de ces idées prises individuellement, même si les esprits les plus mal tournés chuchoteront que l’arme de la proposition de loi est une façon bien commode de prouver à ses électeurs que l’on ne reste pas les bras croisés pendant le confinement. Et qu’il est facile, pour un élu de l’opposition, de se montrer généreux avec l’argent de l’Etat quand on n’a pas à se préoccuper de l’équilibre des finances publiques et de la dette.
Prises dans leur ensemble, ces PPL distillent une déroutante impression de concours Lépine de la réaction émotionnelle face à l’épidémie. Elles risquent de mettre le gouvernement dans l’embarras lors de la réouverture du Parlement, lorsque certaines seront inscrites à l’ordre du jour. « C’est le congé enfant décédé puissance 28 », s’alarme le ministre précédemment cité – une référence à la gestion désastreuse par les macronistes d’une proposition de loi de l’UDI visant à instaurer un congé de douze jours pour les parents ayant perdu un enfant : le gouvernement jugeant ce dispositif mal ficelé, le groupe LREM l’avait rejeté le 30 janvier dernier, s’attirant des accusations d’inhumanité. De quoi promettre des sueurs froides aux ministres qui devront se charger d’expliquer, dans un pays où des milliers de Français auront perdu un proche pendant l’épidémie, qu’il faut voter contre une fausse bonne idée ou une proposition démagogique de l’opposition.
Rationalité et écriture de la loi ne font plus toujours bon ménage. Cet hiver, la majorité a laissé passer une PPL des députés corses visant à interdire les matchs de football à la date anniversaire de la catastrophe de Furiani. Cette disposition ne relève pas du domaine de la loi, sa constitutionnalité n’est pas évidente, mais il ne fallait surtout pas risquer de mépriser la douleur des familles des victimes. Une victoire éclatante de l’émotion.