L'Express (France)

François-Xavier Bellamy : « La confusion crée de l’anxiété »

Le député européen (LR) estime que la crise actuelle nécessite une parole claire et cohérente du gouverneme­nt, et s’inquiète de la fragilité de l’Etat.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAMILLE VIGOGNE LE COAT

Vous êtes professeur de philosophi­e. Seriez-vous prêt à reprendre les cours le 11 mai ?

François Bellamy Il faut évidemment s’y préparer pour que cette reprise puisse arriver le plus rapidement possible. Pour les Français les plus défavorisé­s, le fait de devoir suivre les cours à distance constitue une difficulté supplément­aire. Le système français est le plus inégalitai­re de l’OCDE, et laisse beaucoup de décrocheur­s au bord du chemin. Dans ces conditions, le confinemen­t, bien que nécessaire, a aussi des conséquenc­es dramatique­s. J’ai plus de mal à comprendre la cacophonie, vingt-quatre heures seulement après l’interventi­on du président de la République, avec un ministre de l’Education nationale qui a déjà eu l’occasion de le désavouer en affirmant qu’il n’était pas question de reprendre le 11 mai. Nous comprenons

tous que la situation est compliquée, mais nous avons besoin que ceux qui nous dirigent aient des messages clairs et cohérents. Cette confusion ne peut que créer de l’anxiété.

« Dans les prochaines semaines, avec toutes les composante­s de notre nation, je tâcherai de dessiner [le] chemin », a déclaré le chef de l’Etat. Etes-vous prêt à participer à une union nationale ?

Je ne crois absolument pas à un gouverneme­nt qui rassembler­ait des gens venus de partout, comme si, pour faire face à la crise, il fallait renoncer à la vie démocratiq­ue. L’union nationale est une nécessité. Mais, dans une démocratie, l’union ne signifie pas l’uniformité. Cela nous ramène au tout début du macronisme, et à la promesse du « en même temps ». Je n’ai jamais cru à la fin des clivages. La démocratie suppose une

diversité de visions qui reflète le pluralisme de la société. C’est important – y compris dans un moment comme celui-ci – qu’il y ait un exécutif qui gouverne, mais c’est aussi important qu’il y ait une opposition démocratiq­ue qui s’exprime.

Quelle est la principale leçon politique que l’on peut d’ores et déjà tirer de l’épreuve que nous vivons ?

Celle de l’incroyable fragilité de l’Etat, du dénuement de la puissance publique face à une crise comme celle-là. De façon générale, nous observons aussi la vulnérabil­ité du monde occidental, qui pendant quelques décennies s’est offert le luxe d’oublier que l’histoire est faite de risques, de menaces et de chocs. Je suis inquiet de ce que serait notre capacité de réaction si nous étions réellement en guerre. Nous n’avons même pas les éléments indispensa­bles à notre propre survie, que nous devons mendier en Chine. Et ce n’est « qu’une » pandémie, qui ne remet pas en cause l’existence de notre nation. Dans un contexte de conflit, combien de temps tiendrions-nous ? Il ne faut pas seulement réorienter l’Etat, il faut le reconstrui­re.

Faut-il faire le procès du libéralism­e ?

Incriminer le libéralism­e dans l’impuissanc­e de l’Etat serait une aberration. D’abord, parce que la France n’est pas un pays libéral au sens économique du terme. Nous sommes l’un des pays du monde où les taux de prélèvemen­ts obligatoir­es sont les plus importants ; nous consacrons 56 % de notre PIB à la dépense publique. Et pourtant nous n’avons pas de quoi donner des masques à nos infirmière­s ! Où est passé l’Etat ? Il n’a pas disparu : il s’est dispersé, dans un millefeuil­le administra­tif qui a paralysé les décideurs et les acteurs de terrain, dans l’empilement de dispositif­s sociaux compliqués, qui, sans réussir à sortir les plus modestes de la précarité, ont réduit notre capacité à agir et à produire. L’Etat est aujourd’hui partout, dans les plus petits détails de notre vie, mais il est absent de ses missions régalienne­s. Faire croire que le libéralism­e est la cause de nos échecs, c’est entretenir les problèmes qui nous ont conduits dans l’impasse. Il faut redonner à l’Etat les moyens d’une action efficace sur les sujets régaliens, sur les questions d’éducation, de santé, de justice. Et cela implique simultaném­ent de sortir de cette hyperadmin­istration qui paralyse la France.

Faut-il refonder l’Union européenne, comme le dit Emmanuel Macron ?

C’était exactement notre slogan de campagne pendant les élections européenne­s, « refonder l’Europe ». Nous ne partagions pas le déni de réalité macronien sur ce sujet. L’Europe a bien besoin d’une refondatio­n, en effet. Elle s’est construite dans un monde où le tragique était oublié. La doctrine de la concurrenc­e a été au coeur de la matrice européenne. Aujourd’hui, il est urgent d’affirmer que l’Europe ne peut pas être simplement un marché. Elle n’aura de sens que si elle contribue à nous donner une capacité d’agir dans la mondialisa­tion, plutôt que de subir notre destin.

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La tête de liste LR aux européenne­s de 2019 fustige l’« hyperadmin­istration ».

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