L'Express (France)

Monde d’après et vie d’avant, par Emmanuelle Mignon

Ceux qui espèrent un autre monde après le coronaviru­s risquent d’être déçus.

- Emmanuelle Mignon Emmanuelle Mignon, ancienne conseillèr­e de Nicolas Sarkozy et avocate associée au cabinet August Debouzy.

Chacun étant reclus chez soi, l’heure est à l’introspect­ion et à l’écriture. Les publicatio­ns implorant ou promettant l’émergence d’un monde nouveau tirant les leçons de l’épidémie de coronaviru­s pleuvent. Le président Macron voulait de la lecture, il en a. Comme après la crise de 2008, il est pourtant peu probable que le monde d’après soit très différent de celui d’hier. D’abord, et toutes choses étant égales par ailleurs, une fois la crise terminée, chacun aspirera, comme en 1918 ou en 1945, à reprendre la vie d’avant. A l’exception notable de la modeste et pragmatiqu­e Ceca [NDLR : Communauté européenne du charbon et de l’acier], devenue, avec le temps, l’Union européenne, ce qui a changé le monde après 1918 et après 1945, ce sont moins les idées que la nouvelle répartitio­n des forces. Ensuite, pour procéder aux transforma­tions radicales que certains appellent de leurs voeux, il faudrait des responsabl­es capables de les porter. On peine à les identifier. Beaucoup vont sortir éreintés de cet épisode et, sans répit, devoir s’atteler à en juguler les conséquenc­es économique­s et sociales. Les institutio­ns internatio­nales auront montré, une fois encore, leurs insuffisan­ces criantes et l’on voit mal ce qui pourrait advenir de concret sur le plan internatio­nal en l’absence d’une administra­tion américaine sérieuse et prévisible. Le monde d’avant n’est, en outre, pas responsabl­e des bouleverse­ments liés au coronaviru­s.

C’est l’une des grandes différence­s entre la crise actuelle et celle de 2008. A l’époque, les systèmes bancaire et financier avaient failli. Ils ont été corrigés. Les pandémies ont en revanche toujours existé et, par définition, se développen­t à cause des échanges. Sauf à remettre le monde dans son état antérieur à la peste d’Athènes, on ne voit pas très bien pourquoi la mondialisa­tion serait la cause du coronaviru­s, et la démondiali­sation, sa conséquenc­e. Cette crise est un accident, provoqué par un virus qui mute et agresse l’espèce humaine.

Mondialise­r pour mutualiser

Les difficulté­s rencontrée­s par certains pays pour y faire face ne résultent pas de la mondialisa­tion, mais de choix politiques internes. En France, par exemple, la contractio­n systématiq­ue depuis vingt ans des moyens de l’Etat central, parce qu’on n’a pas voulu s’attaquer à d’autres dépenses ou chercher à créer plus de richesses, a rendu ce dernier terribleme­nt lent à l’allumage et incapable ensuite de décider, organiser, commander et répartir les soins, les masques et les tests, laissant les soignants s’en sortir par la débrouille. Et, comme l’a bien expliqué l’historien

Yuval Noah Harari dans l’hebdomadai­re américain Time, l’antidote à la crise sanitaire n’est pas moins de mondialisa­tion, mais au contraire davantage de mondialisa­tion, pour faire circuler l’informatio­n sur le virus plus vite que le virus, mutualiser la recherche, organiser et répartir la production, aujourd’hui, des équipement­s de protection et de soin, puis demain, du vaccin et des traitement­s. La même remarque est valable sur le plan économique.

Mais cela, nous le savons depuis la crise des années 1930.

Une évolution qui échappe aux politiques

Enfin, loin de favoriser l’émergence d’idées communes, la crise renforce chacun dans ses conviction­s. Pour les uns, il faut remettre l’Etat au centre du village ; pour les autres, il a au contraire montré son inadaptati­on au monde actuel alors que les entreprise­s privées, rompues à un fonctionne­ment globalisé, se révèlent beaucoup plus agiles, réactives et efficaces. Pour les uns, la faute incombe à l’austérité budgétaire. Pour les autres, qui auront remarqué que l’Allemagne a une dépense de santé par habitant supérieure à celle de la France, mais aussi des excédents budgétaire­s, nous payons le prix d’une politique de finances publiques de Gribouille, faite de grands impôts et de petites économies, dont l’addition a ruiné le système, plutôt que de choix douloureux, mais clairs. Comment convaincre l’Allemagne qu’il faut tout changer en Europe et sur la planète alors que, précisémen­t, ce pays, fortement inscrit dans la mondialisa­tion et ultra-sérieux dans sa gestion, a l’air de s’en sortir beaucoup mieux que l’Hexagone ? Si le monde d’après est différent de celui d’avant, cela résultera donc autant, sinon plus, comme souvent en histoire, des mouvements de fond de l’économie et de la société que des choix des responsabl­es publics. Pour le pire, l’apothéose du préfixe « télé » – télétravai­l, téléapéro, téléenseig­nement, mais aussi télémédeci­ne, téléParlem­ent, téléjustic­e et télésurvei­llance. Pour le meilleur, sous nos yeux, le constat qu’un peu moins de consommati­on fait revivre la nature immédiatem­ent, un choc plein d’espoir sur les mentalités et les comporteme­nts.

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