Monde d’après et vie d’avant, par Emmanuelle Mignon
Ceux qui espèrent un autre monde après le coronavirus risquent d’être déçus.
Chacun étant reclus chez soi, l’heure est à l’introspection et à l’écriture. Les publications implorant ou promettant l’émergence d’un monde nouveau tirant les leçons de l’épidémie de coronavirus pleuvent. Le président Macron voulait de la lecture, il en a. Comme après la crise de 2008, il est pourtant peu probable que le monde d’après soit très différent de celui d’hier. D’abord, et toutes choses étant égales par ailleurs, une fois la crise terminée, chacun aspirera, comme en 1918 ou en 1945, à reprendre la vie d’avant. A l’exception notable de la modeste et pragmatique Ceca [NDLR : Communauté européenne du charbon et de l’acier], devenue, avec le temps, l’Union européenne, ce qui a changé le monde après 1918 et après 1945, ce sont moins les idées que la nouvelle répartition des forces. Ensuite, pour procéder aux transformations radicales que certains appellent de leurs voeux, il faudrait des responsables capables de les porter. On peine à les identifier. Beaucoup vont sortir éreintés de cet épisode et, sans répit, devoir s’atteler à en juguler les conséquences économiques et sociales. Les institutions internationales auront montré, une fois encore, leurs insuffisances criantes et l’on voit mal ce qui pourrait advenir de concret sur le plan international en l’absence d’une administration américaine sérieuse et prévisible. Le monde d’avant n’est, en outre, pas responsable des bouleversements liés au coronavirus.
C’est l’une des grandes différences entre la crise actuelle et celle de 2008. A l’époque, les systèmes bancaire et financier avaient failli. Ils ont été corrigés. Les pandémies ont en revanche toujours existé et, par définition, se développent à cause des échanges. Sauf à remettre le monde dans son état antérieur à la peste d’Athènes, on ne voit pas très bien pourquoi la mondialisation serait la cause du coronavirus, et la démondialisation, sa conséquence. Cette crise est un accident, provoqué par un virus qui mute et agresse l’espèce humaine.
Mondialiser pour mutualiser
Les difficultés rencontrées par certains pays pour y faire face ne résultent pas de la mondialisation, mais de choix politiques internes. En France, par exemple, la contraction systématique depuis vingt ans des moyens de l’Etat central, parce qu’on n’a pas voulu s’attaquer à d’autres dépenses ou chercher à créer plus de richesses, a rendu ce dernier terriblement lent à l’allumage et incapable ensuite de décider, organiser, commander et répartir les soins, les masques et les tests, laissant les soignants s’en sortir par la débrouille. Et, comme l’a bien expliqué l’historien
Yuval Noah Harari dans l’hebdomadaire américain Time, l’antidote à la crise sanitaire n’est pas moins de mondialisation, mais au contraire davantage de mondialisation, pour faire circuler l’information sur le virus plus vite que le virus, mutualiser la recherche, organiser et répartir la production, aujourd’hui, des équipements de protection et de soin, puis demain, du vaccin et des traitements. La même remarque est valable sur le plan économique.
Mais cela, nous le savons depuis la crise des années 1930.
Une évolution qui échappe aux politiques
Enfin, loin de favoriser l’émergence d’idées communes, la crise renforce chacun dans ses convictions. Pour les uns, il faut remettre l’Etat au centre du village ; pour les autres, il a au contraire montré son inadaptation au monde actuel alors que les entreprises privées, rompues à un fonctionnement globalisé, se révèlent beaucoup plus agiles, réactives et efficaces. Pour les uns, la faute incombe à l’austérité budgétaire. Pour les autres, qui auront remarqué que l’Allemagne a une dépense de santé par habitant supérieure à celle de la France, mais aussi des excédents budgétaires, nous payons le prix d’une politique de finances publiques de Gribouille, faite de grands impôts et de petites économies, dont l’addition a ruiné le système, plutôt que de choix douloureux, mais clairs. Comment convaincre l’Allemagne qu’il faut tout changer en Europe et sur la planète alors que, précisément, ce pays, fortement inscrit dans la mondialisation et ultra-sérieux dans sa gestion, a l’air de s’en sortir beaucoup mieux que l’Hexagone ? Si le monde d’après est différent de celui d’avant, cela résultera donc autant, sinon plus, comme souvent en histoire, des mouvements de fond de l’économie et de la société que des choix des responsables publics. Pour le pire, l’apothéose du préfixe « télé » – télétravail, téléapéro, téléenseignement, mais aussi télémédecine, téléParlement, téléjustice et télésurveillance. Pour le meilleur, sous nos yeux, le constat qu’un peu moins de consommation fait revivre la nature immédiatement, un choc plein d’espoir sur les mentalités et les comportements.