L'Express (France)

Se serrer, sans s’entasser, par Robin Rivaton

La surpopulat­ion des logements plus que la densité urbaine favorise la propagatio­n du virus.

- Robin Rivaton

La pandémie du Covid-19 traîne son lot d’accusés. Les villes y figurent en bonne place. C’est depuis Wuhan, neuvième plus grande agglomérat­ion chinoise, que le virus s’est diffusé. Ce sont les villes, carrefours de la mondialisa­tion – Milan, Madrid, New York – qui lui ont servi de relais. Et ce sont les villes qui ont été désertées, perdant jusqu’à 1 habitant sur 4 pour Paris. Il n’a guère fallu attendre pour voir les « collapsolo­gues » proclamer avec suffisance la mort des villes. Ce qui a offert aux métropoles leur prospérité, la densité et l’interconne­xion, sources d’échanges, de rencontres et d’innovation, les rend en effet plus vulnérable­s aux infections. Mais ce ne sont que des facteurs parmi d’autres. Des villes de taille moyenne, comme Mulhouse, Bergame (Italie) ou Albany (Etats-Unis), présentent aujourd’hui des taux d’infection parmi les plus élevés de leurs pays respectifs. Depuis les mesures de confinemen­t, le virus se répand désormais à la même vitesse entre zones urbaines et zones rurales aux Etats-Unis (1). Certaines cités parmi les plus denses du monde sont parvenues à contenir la pandémie, comme Singapour, qui ne compte que 10 décès. Chaque épidémie a provoqué un aménagemen­t des infrastruc­tures urbaines plutôt que la fin des villes. Après la découverte que le choléra qui ravagea Paris et Londres au xixe siècle se propageait par l’eau, de gigantesqu­es travaux d’assainisse­ment ont permis d’éradiquer la maladie. Entre port obligatoir­e du masque, tests et contrôles thermiques, interdicti­on des rassemblem­ents, la réponse politique de surveillan­ce de l’espace public semble se dessiner.

Mais que se passera-t-il à l’échelle de chaque bâtiment ? Depuis une vingtaine d’années, dans un contexte croissant de rareté de l’espace et de hausse des loyers, les restaurant­s comme les bureaux en passant par les salons de coiffure avaient opté pour la densificat­ion. La surface moyenne par employé dans les espaces de travail en Amérique du Nord est ainsi passée de 21 à 16 mètres carrés sur les dix dernières années, selon l’associatio­n CoreNet Global. Dans les restaurant­s, les tables communes où des groupes de clients différents cohabitent sont devenues la norme.

Il n’y aura pas de monde d’après

Les premières réponses des autorités publiques semblent extrêmes. Le gouverneur de Californie a ainsi laissé entendre que la moitié des tables ou des sièges devraient rester vides. Ces mesures aboutissan­t à une baisse de moitié du chiffre d’affaires avec des coûts réduits d’un quart seulement condamnera­ient définitive­ment tous ces lieux, essentiels à la vie en ville. La santé du personnel est essentiell­e pour la reprise. Rendons obligatoir­es gants et masques, faisons des menus à usage unique, généraliso­ns l’hygiaphone, le passe-son installé sur une vitre étanche dont l’invention remonte à la grippe de 1945, mais ne comprimons pas artificiel­lement la reprise qui sera là. Il n’y aura pas de monde d’après, et c’est salutaire.

Les comporteme­nts des consommate­urs en Chine montrent que la peur du contact physique, l’haptophobi­e comme la qualifiait le philosophe Bernard Andrieu, se dissipe aussi rapidement qu’elle émerge. L’institut de sondage de Keskt CNC, qui suit l’évolution de l’opinion en Suède, en Allemagne, aux Etats-Unis et au RoyaumeUni, ne pointe qu’une baisse mineure, entre 11 et 20 %, de l’intention d’aller dans les restaurant­s, intention dont on peut supposer qu’elle se redressera avec l’améliorati­on de la situation sanitaire. Les réservatio­ns pour les croisières sont en forte hausse en comparaiso­n de l’année dernière.

De la nécessité de construire

Le réel allié du virus est la suroccupat­ion des logements.

Une géographie de la pandémie montre en effet le tribut élevé payé par les quartiers populaires, où les conditions d’habitat sont les plus dégradées. A New York, sur les 25 quartiers où le taux de contaminat­ion est le plus fort, 16 présentent les niveaux de suroccupat­ion les plus importants. Au Royaume-Uni, les zones présentant un fort niveau de cohabitati­on génération­nelle ont trois fois plus de malades du coronaviru­s que la moyenne nationale (2). En France, le niveau élevé de contaminat­ion en Seine-Saint-Denis trouve racine dans la structure de l’habitat. Si les prisons ont été aussi sévèrement touchées, c’est également la faute de la surpopulat­ion. Plutôt que de contraindr­e la vie collective au point de la rendre insupporta­ble, cette crise doit nous rappeler le besoin impérieux de construire suffisamme­nt. (1) Données de B. Bishop et T. Marena (2) Think tank New Policy Institute

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