Analyse des données : la risposte tricolore
Face au géant américain Palantir, des start-up françaises se mobilisent et proposent au gouvernement leurs outils d’aide au déconfinement. PAR EMMANUEL PAQUETTE
C’est une main tendue qui a de quoi embarrasser l’Elysée. Elle vient en tout cas mettre à mal les propos tenus récemment par Emmanuel Macron sur la nécessaire souveraineté française. Car la société américaine Palantir, par l’entremise du président de sa filiale française – Fabrice Brégier, l’ex-directeur d’Airbus –, a offert ses services au gouvernement pour lutter contre la pandémie. Cette généreuse proposition a aussitôt été redirigée par le Château vers l’AP-HP, les hôpitaux de Paris. Grâce à l’analyse massive des données en temps réel, Palantir promet d’aider l’institution à améliorer son fonctionnement, en favorisant une meilleure gestion du personnel, des masques, des respirateurs ou des lits disponibles.
Plusieurs pays ont saisi cette opportunité pour lutter plus efficacement contre le coronavirus, que ce soient les centres pour le contrôle et la prévention des maladies aux Etats-Unis ou le système de santé du Royaume-Uni. Dans la foulée, pas moins d’une douzaine de nations auraient accepté ce soutien bienvenu, selon l’agence Bloomberg, dont le Canada, l’Autriche, l’Espagne et la Grèce.
Mais dans l’Hexagone, le choix de recourir à la start-up cofondée par le milliardaire Peter Thiel, proche du président Donald Trump, fait grincer des dents. En effet, la société, créée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, compte parmi ses actionnaires le fonds d’investissement In-Q-Tel, bras financier de la CIA, l’agence de renseignement américaine. Surtout, l’entreprise, dirigée par Alex Karp, épaule déjà la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) dans la lutte antiterroriste, au grand désarroi de groupes tricolores tels que Thales.
Au lendemain des attentats de 2015 en France, la DGSI a décidé de s’équiper de cet outil afin de prévenir les risques futurs et a même renouvelé le contrat en décembre 2019. Un partenariat qui passe toujours mal. « Les sociétés américaines d’Internet possèdent déjà nos données de comportement, de consommation en ligne, et travaillent maintenant avec nos services de renseignement, explique un acteur national. Le dernier bastion qui leur reste à conquérir, c’est la santé. Les pouvoirs publics sont-ils prêts à leur ouvrir cette porte ? » La question devient encore plus prégnante au moment où le pays s’interroge sur ses capacités à faire face à la crise sanitaire en misant sur son industrie. D’ailleurs, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) invite l’Etat à privilégier des solutions souveraines. « Dans des domaines comme la santé, l’éducation ou la sécurité, il est préférable de s’appuyer sur des offres françaises et européennes plutôt que sur celle de Palantir, estime Cédric Villani, vice-président de l’OPECST et candidat à la mairie de Paris. C’est une question de principe et il me semble que nous avons les talents et les compétences nécessaires pour cela. »
Une vingtaine de start-up hexagonales, regroupées au sein du collectif Codata, se sont mobilisées et ont fait passer une note à Edouard Philippe afin de proposer leurs services – l’un de ses membres, Dataiku, travaille déjà avec l’AP-HP depuis la mi-mars. Les applications développées sont diverses. Elles peuvent surtout aider
à développer des plans de déconfinement en fonction des zones géographiques, de l’âge des citoyens, des capacités d’accueil des organismes de soins…
Ce chantier, piloté par le haut fonctionnaire Jean Castex sous l’égide de l’Elysée et de Matignon, doit être mené à bien d’ici au 11 mai prochain, date théorique du début du déconfinement. Le géant français de la transformation numérique Atos, dont l’ancien PDG Thierry Breton est devenu commissaire européen, a lui aussi fait acte de candidature pour barrer la route à Palantir. « Nous avons soumis des propositions au gouvernement, confirme-t-on chez Atos. Notre objectif est de présenter une solution conçue et développée en France, non intrusive, sécurisée, rapide à déployer et interopérable au niveau européen si nécessaire. » La puissance publique va devoir faire un choix dans les prochains jours pour s’armer contre la pandémie. Le président de la République, celui de la « start-up nation », aura ainsi l’occasion d’accorder son discours à ses actes.