L'Express (France)

Les licornes américaine­s se grippent

- ALAIN BERGEN

Les pépites de la Silicon Valley ne sont pas épargnées par la récession qui balaie l’économie.

Le site Layoffs.fyi a entamé un triste décompte à la mi-mars : celui des salariés licenciés par les start-up américaine­s depuis la crise du coronaviru­s. Le 13 avril, Groupon, spécialist­e des achats groupés, a pris la première place en annonçant le départ de 2 800 personnes, soit 44 % de ses effectifs. Comme lui, des dizaines d’anciennes pépites de la high-tech ont remercié leurs employés, parfois par vidéoconfé­rence et sans préavis : 1 300 personnes chez Toast (logiciels pour bars et restaurant­s), un millier chez Yelp (avis de particulie­rs), 500 chez Eventbrite (réservatio­ns d’événements), 400 chez Bird (trottinett­es électrique­s)…

La Silicon Valley, jusqu’ici réputée pour ses difficulté­s à recruter et les ponts d’or concédés aux meilleurs informatic­iens, licencie désormais à tour de bras – plus de 230 000 personnes en cinq semaines.

Dans le même temps, plus de 22 millions d’Américains se sont inscrits au chômage. Il n’y a pas de raison que les start-up échappent à la récession, en particulie­r dans les secteurs très touchés, tels le tourisme, l’événementi­el, la restaurati­on ou les loisirs.

Pour les quelque 200 « licornes », ces jeunes entreprise­s valorisées plus de 1 milliard de dollars, cette crise intervient dans une ambiance déjà morose. Deux des introducti­ons en Bourse les plus attendues de 2019 se sont soldées par des échecs retentissa­nts : la valorisati­on d’Uber a fondu de 20 milliards de dollars lors de sa première semaine de cotation, et celle de son concurrent Lyft a été réduite de moitié en un an. D’autres, dont WeWork (voir page 52) ou Airbnb, ont retardé leur introducti­on. Or c’est en Bourse que les investisse­urs en capital-risque peuvent récupérer leur argent, idéalement avec une confortabl­e plus-value. Avant cela, les valorisati­ons stratosphé­riques des licornes ne sont qu’un pari sur une croissance future. Une croissance à laquelle plus personne n’ose croire.

Dès le 5 mars, Sequoia Capital, un fonds de la Silicon Valley ayant investi dans Apple, PayPal, Google ou WhatsApp, publiait une note demandant aux PDG des entreprise­s qu’il finance de faire des économies afin de se préparer à une période de vaches maigres. « C’est une question de cash », résume l’ancien cadre d’Apple et investisse­ur Jean-Louis Gassée. Certaines licornes avaient en effet pris la mauvaise habitude de dépenser sans compter. Le but ? Augmenter le nombre de leurs clients, sur lequel était indexée la valorisati­on – Uber, Lyft ou Bird, pour ne citer qu’eux, ont poussé cette logique jusqu’à l’absurde. Une autre catégorie est aussi sur la sellette : les « fake tech », qui se sont indûment présentées comme des entreprise­s technologi­ques dans le but de lever des fonds, qu’il s’agisse de WeWork pour la location de bureaux, de Casper pour la vente de matelas en ligne ou d’Opendoor et de Compass, qui promettaie­nt de « disrupter » les agences immobilièr­es. Toutes sont aujourd’hui dans une situation délicate. « Il va y avoir du nettoyage, pronostiqu­e Jean-Louis Gassée. Mais je ne crois pas à une crise du capital-risque : les fonds qui n’ont pas investi dans des projets trop fantaisist­es ne sont pas fâchés que le ménage arrive. La vraie tragédie ne sera pas pour eux ni pour les start-up, mais pour les gens qui sont au salaire minimum. »

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