L'Express (France)

Un pétrole en-dessous du niveau 0

L. M.

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Les capacités de stockage saturent et les prix du baril plongent. Pour la première fois, le cours du brut de référence américain a atteint – 37 dollars.

Ce que ni les chocs pétroliers de 1973 et de 1979 ou encore la crise de 2008 n’avaient réussi à engendrer, le Covid19 vient de le faire ! Pour la première fois de l’Histoire, le prix du baril de pétrole de référence américain s’est enfoncé lundi soir audessous de zéro. A New York, le type de brut West Texas Intermedia­te (WTI) a plongé à – 37,63 dollars à la clôture des marchés boursiers. Les traders ont dû se frotter les yeux pour y croire : des producteur­s acceptent de payer les acheteurs pour écouler leur pétrole.

Déjà constaté ces dernières semaines sur d’autres types de pétrole, aux EtatsUnis ou au Canada, le phénomène témoigne de l’ampleur de la crise que traverse le secteur. L’or noir est frappé par une consommati­on atone, liée à l’arrêt brutal de l’économie, avec, en prime, une production surabondan­te.

Les marchés estiment que la baisse de la production de 9,7 millions de barils par jour, décidée lors du dernier sommet de l’Opep+ – l’alliance des membres de l’Organisati­on

des pays producteur­s de pétrole (Opep) avec d’autres Etats acteurs du secteur, menés par la Russie –, est trop maigre pour compenser la chute de la demande. Dans son dernier rapport mensuel, l’Agence internatio­nale de l’énergie chiffre celleci à 29 millions de barils par jour par rapport au mois d’avril 2019. Provoqué par le gel du secteur aérien et l’effondreme­nt de la consommati­on de carburant routier, le plongeon de la demande atteindra 23,3 millions de barils par jour au deuxième trimestre, toujours selon l’organisati­on. Largement en deçà de la baisse de production consentie.

Mêmeenajou­tantlespay­snonmembre­s de l’Opep, comme les EtatsUnis ou le Canada, qui pourraient réduire leur production d’environ 5,3 millions de barils par jour, le compte n’y est toujours pas. L’excédent de production devrait atteindre 15 millions de barils par jour entre mai et juin, selon l’organisati­on. « Tant qu’on n’aura pas détruit cette production excédentai­re, les prix ne peuvent pas remonter », résume Benjamin Louvet, expert en matières premières à OFI Asset Management.

Les prix négatifs enregistré­s s’expliquent également par des mécanismes boursiers. Comme toute matière première, le baril de brut léger américain est négocié sur des marchés à terme, signifiant que la date du paiement est différente de celle de la livraison. L’expiration, le lundi 20 avril au soir, des contrats de livraison du mois de mai a obligé ceux qui détenaient encore du pétrole à le vendre ou à le stocker.

Mais, alors que ce phénomène ne suscite d’ordinaire guère d’inquiétude, les marchés ont paniqué lundi soir. Et pour cause : à travers le monde, les capacités de stockage de l’or noir s’épuisent très rapidement. La semaine dernière, l’équivalent de 19 millions de barils de surplus a été ajouté aux réserves des EtatsUnis. Inédit. Selon certains analystes, les cuves du pays pourraient être déjà pleines à 70 % de leurs capacités. A Cushing, dans l’Oklahoma, hub de stockage où est d’ailleurs calculé l’indice WTI, le stock atteint 72 % des capacités disponible­s, selon l’Agence américaine de l’énergie. Celleci juge que le seuil critique pourrait être atteint dès la fin du mois de mai.

La même dynamique s’observe partout dans le monde. Selon Reuters, le pétrole stocké en mer a atteint un niveau de 160 millions de barils la semaine dernière, soit le double de la semaine précédente. Début avril, l’Opep a prévenu : la capacité mondiale de stockage, équivalent­e à 1 milliard de barils, pourrait être dépassée dès la fin du mois de mai.

Les producteur­s et les traders se ruant sur chaque mètre carré de capacité de stockage, il est probable que certains se soient retrouvés lundi sans autre solution que de payer leurs acheteurs pour écouler leur marchandis­e. Logiquemen­t, le coût du stockage augmente aussi de façon exponentie­lle. La location à la journée d’un supertanke­r (2 millions de barils de capacité) pouvait atteindre jusqu’à 300 000 dollars ces derniers jours, contre 30 000 dollars fin février. Du jamaisvu.

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