Aux sources de la croissance
LA CULTURE DE LA CROISSANCE.
LES ORIGINES DE L’ÉCONOMIE MODERNE PAR JOEL MOKYR. TRAD. DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR PIERRE-EMMANUEL DAUZAT. GALLIMARD, 576 P., 36 €.
Professeur à l’université Northwestern, dans l’Illinois, l’Américano-Israëlien Joel Mokyr est un spécialiste mondialement reconnu d’histoire économique. Avec La Culture de la croissance, nous disposons désormais d’une version en français d’un de ses ouvrages de référence. Celui-ci porte sur les origines de la révolution industrielle et du développement économique qui ont caractérisé l’Europe au début du xixe siècle. Livre savant dont la forme reste très académique, le texte est parfois difficile d’accès et suppose de la part du lecteur un réel effort d’attention ; et ce d’autant plus que l’auteur multiplie les digressions. Certaines sont bienvenues, comme les portraits du philosophe Francis Bacon et celui d’Isaac Newton, mais d’autres éloignent de la thèse centrale de l’essai : le décollage économique aurait été préparé par l’émergence, entre 1500 et 1750, de ce que l’historien appelle la « culture de la croissance ». Un essor qui a pris trois formes.
La première est la constitution d’une classe d’« entrepreneurs intellectuels », qui a précédé celle des entrepreneurs économiques. Les premiers sont des scientifiques de haut niveau, comme Newton, mais aussi des juristes et des économistes. Leur caractéristique est d’avoir pu non seulement développer une pensée non encadrée par les interdits religieux, mais encore d’avoir réussi à la diffuser grâce à l’essor de l’imprimerie et au maintien de langues du savoir partagées, essentiellement le latin et, accessoirement, le français. Cette diffusion a permis en particulier une confrontation féconde des idées.
La deuxième forme est la création d’un enseignement que l’on a qualifié, au xviiie siècle, d’« utile ». Celui-ci a assuré la transmission des savoir-faire techniques ainsi que celle des sciences fondamentales, comme les mathématiques, la physique, le droit ou encore l’économie.
La troisième est la multiplication des pôles de recherche, qui a été permise, d’abord, par l’effacement de la papauté dû à la Réforme, ensuite par la multiplication des Etats, qui ont, pour des raisons de prestige, favorisé la fondation de centres de recherche. Cette multiplication a entretenu une concurrence entre les savants qui a accéléré les découvertes. Joel Mokyr souligne à ce sujet que la faiblesse de la Chine aura été d’être un empire centralisé, dont le monde intellectuel était détourné de la recherche par la logique des concours de recrutement d’une haute fonction publique pléthorique et conservatrice. On comprend, à la lecture de ce livre documenté, que la croissance économique suppose bien évidemment des avancées technologiques, mais également un état d’esprit qui favorise la concurrence, y compris dans le domaine des idées.