Le livre numérique, star du confinement
Privés de leurs librairies, les Français se convertissent aux ouvrages dématérialisés, qu’ils avaient jusque là dédaignés.
100 %, plus 200 % ! Jour après jour depuis l’entrée en confinement, les annonces « triomphales » des plateformes de vente – placedeslibraires.fr, Youboox, ePagine, Fnac, Amazon, etc. – abondent, tandis que les bibliothèques ploient sous les demandes de prêts… A défaut de pouvoir aisément s’approvisionner en livres imprimés (Amazon vient, de surcroît, de se voir interdire leur vente en France), les lecteurs se rabattent sur les ouvrages au format numérique. Une première dans l’histoire éditoriale d’un pays où, en 2018, moins de 5 % des Français avaient déjà acheté un livre dématérialisé. Et l’occasion d’explorer plus avant ce nouveau marché.
C’est devenu une sorte d’ardente obligation des éditeurs. Depuis une dizaine d’années, plus un seul livre ou presque qui ne soit publié au format numérique – une pratique précieuse, dont le coût de fabrication relève presque de l’anecdotique (de 150 à 300 euros par ouvrage), auquel on ajoutera une TVA réduite à 5,5 %, 20 à 25 % de commission selon les plateformes et de substantielles économies dues à l’inexistence de stockage. Pour autant, les prix des nouveautés (similaires partout, prix unique du livre oblige) ne sont pas négligeables : 15,99 euros pour le best-seller Miroir de nos peines, de Pierre Lemaitre, versus 22,90 euros pour le format papier ; 14,99 euros pour Le Pays des autres, de Leïla Slimani, contre 20 euros, ou encore 12,99 euros pour Le Consentement, de Vanessa Springora, contre 18 euros. Soit, pour résumer, une différence de quelque 30 % entre les deux versions. Un montant fixé, on l’imagine, afin de ne pas trop pénaliser les libraires et de préserver les revenus des auteurs et éditeurs… Tout change, pourtant, lorsque paraît le format poche d’un titre : on assiste alors à une diminution significative du prix du livre numérique, à un niveau à peu près équivalent à celui du poche.
C’est que, dans le domaine, on joue souvent au yo-yo. « L’un des piliers du e-commerce est la promotion et l’animation, confirme Eric Marbeau, directeur de la diffusion numérique du groupe
Madrigall (Gallimard,
Flammarion, Casterman...).
On vient ainsi de tripler le nombre de titres disponibles à petits prix, pour quelques semaines. » Tous s’engouffrent ces jours-ci dans cette politique de prix cassés : XO, par exemple, « brade » à 4,99 euros quelques romans de ses auteurs phares, Bernard Minier, Mireille Calmel, Christian Jacq… Tous aussi pratiquent à l’envi la gratuité de nombreux e-books (classiques, nouveautés ou inédits comme les fameux « Tracts de crise » de Gallimard). Une politique destinée à familiariser les lecteurs avec les ouvrages dématérialisés. De quoi, aussi, expliquer une partie de l’engouement actuel… Encore faut-il que le confort de lecture des textes – téléchargeables, d’un « simple » clic, sur ordinateur, smartphone, tablette ou liseuse – soit au rendez-vous. De l’avis des utilisateurs, c’est la liseuse, avec son écran antireflet, qui constitue le meilleur support. Seul hic : les Kindle d’Amazon ne sont pas compatibles avec les liseuses des constructeurs concurrents, tandis que les livres de la Fnac by Kobo sont accessibles sur n’importe quelle liseuse, excepté celle d’Amazon…
UN ESSOR ÉPHÉMÈRE ?
Toujours est-il que les nouveaux adeptes se jettent sur les ouvrages pratiques, les livres pour la jeunesse, la romance, les mangas et les polars, avec des auteurs comme Alexandre Galien, Jorn Lier Horst, Lisa Gardner, Camilla Grebe, Michel Bussi, Michael Connelly… tandis que surgissent des limbes des « vieilleries » telles que Le Nouveau Rapport de la CIA, publié en 2009. Explication de Cécile Boyer-Runge, patronne de Robert Laffont : « On m’a signalé que ce texte prémonitoire faisait le tour de la twittosphère. Problème, l’e-book n’existait pas. On a réimprimé et numérisé le livre à toute vitesse, on l’a augmenté d’une préface inédite d’Alexandre Adler. Du coup, il flambe. » Du côté de Madrigall, Eric Marbeau signale, lui, les succès de La Peste, d’Albert Camus, du Pays des autres, de Leïla Slimani, de Se le dire enfin, d’Agnès Ledig, ou encore du Hussard sur le toit, de Jean Giono.
Cet emballement soudain survivra-t-il à la réouverture des librairies ? Pas sûr, estiment des observateurs du milieu. « Cet essor est principalement dû aux lecteurs “papier”, précise l’agent littéraire Denis Bourgeois. Il est donc vraisemblable que l’on retombera au niveau de 5 % avec, peut-être, un petit delta supplémentaire. » En revanche, l’audiolivre, qui lui aussi bénéficie d’un surcroît d’intérêt, pourrait bien tirer son épingle du jeu. C’est du moins ce qu’espère Valérie Lévy-Soussan, PDG d’Audiolib (Hachette), dont les ventes, notamment de Sapiens, de Harari, et du Journal d’Anne Frank, se sont envolées. « On sent une véritable curiosité de la part de nouveaux lecteurs, et notamment des jeunes, qui découvrent et apprécient cette pratique qui permet d’écouter un livre, loin des écrans, mais tout en repassant par exemple. » Des bienfaits du confinement…W
Tous les éditeurs s’engouffrent ces jours-ci dans une politique de prix cassés : XO, par exemple, « brade » à 4,99 euros quelques romans de ses auteurs phares, Bernard Minier, Mireille Calmel, Christian Jacq...