Frida Kahlo, la résiliente
Combattante, amoureuse, icône, l’artiste mexicaine dévoile ses multiples visages dans une exposition foisonnante, mise en ligne par une trentaine de musées internationaux.
Frida
Kahlo comme vous ne l’avez jamais vue… La rétrospective qui lui est consacrée, mise en ligne par 33 musées et institutions, passe au crible ses tableaux symbolistes et son parcours – personnel, politique et féministe. Une plongée tentaculaire dans l’univers de l’artiste mexicaine. Avec, en toile de fond, les souffrances physiques et morales qui constituent le fil rouge de son oeuvre.
En 1929, Frida Kahlo peint Le Bus. Elle y figure un groupe de passagers représentatifs du Mexico de ces années-là : une ménagère, un ouvrier, une nourrice indigène, un enfant, un gringo (bourgeois) et une étudiante, écharpe au vent, qui pourrait être Frida elle-même. Sur la gauche, à l’arrière-plan, on distingue une enseigne, La Risa (le rire), qui reflète l’humour noir de la créatrice, quand on sait que sur cette toile empreinte de sérénité, celle-ci se remémore les minutes précédant le terrible accident qui, quatre ans plus tôt, bouleversa sa vie. Ce 17 septembre 1925, l’autobus qui ramène à son domicile Frida Kahlo, 18 ans, percute un tramway. Le corps de la jeune fille – déjà malmené par la poliomyélite, contractée à l’âge de 6 ans – est tout entier broyé. Commence alors un interminable chemin de croix, jalonné d’interventions chirurgicales (32 au total), de fausses couches, de confinements répétés, de corsets toujours plus rigides.
Comme Matisse avant elle, c’est alitée que Frida s’initie à la peinture. Un chevalet portatif installé sur son lit, une boîte de couleurs et un miroir accroché au baldaquin sont les témoins de ses autoportraits. « Je suis ma propre muse, le sujet que je connais le mieux », revendique-t-elle. Sur les 143 tableaux que l’artiste laisse à sa mort, en 1954, à l’âge de 47 ans, 55 sont des représentations d’elle-même. Une réflexion autour de ses émotions autant qu’une délivrance.
Dans l’emblématique La Colonne brisée, elle se tient debout, à demi-nue, devant un paysage aride parsemé de crevasses, le torse emprisonné dans des sangles métalliques. Au centre, une colonne ionique, enchâssée dans une plaie béante, a pris la place de son échine fracturée, tandis que des clous la transpercent de toutes parts ; ceux plantés dans son sein gauche illustrant ses tourments introspectifs et son immense solitude. Même baigné de larmes, le visage de Frida, orné de son légendaire monosourcil, garde un regard combatif. « Pourquoi voudrais-je des pieds, puisque j’ai des ailes pour voler », confie-t-elle, bravache, à son journal intime.
Outre le pinceau, son carburant est l’amour. Le Grand. Avec le Mexicain Diego Rivera, peintre muraliste mondialement reconnu, de vingt ans son aîné, elle partage un imaginaire flamboyant, une ferveur nationaliste et l’adhésion aux valeurs communistes. Pendant un quart de siècle, la relation entre « l’éléphant et la colombe », ainsi qu’on les surnomme, (il est aussi colossal qu’elle est menue) relève de la fusion tumultueuse. Il célèbre sa « sensualité vitale », elle l’aime « plus que [sa] propre peau ». Mais il la trompe, abondamment, jusqu’avec Cristina, la soeur cadette de Frida. Et cette dernière lui rend la monnaie de sa pièce, multipliant les liaisons – parfois bisexuelles –, dont une, passionnée, avec Trotski, l’ami du couple. Au fil des décennies, Diego et Frida s’adorent, se marient, se déchirent, divorcent, se marient à nouveau. Il ne lui survivra que trois ans, emporté, en 1957, par un cancer… du pénis.
Qui est vraiment Frida Kahlo ? La surréaliste que Breton et consorts adoubent ? Lors d’un séjour à Paris, au printemps 1939, elle juge pourtant insupportables ces créateurs français qui « s’assoient des heures dans les cafés, à réchauffer leur précieux derrière […] et se prennent pour les dieux du monde ». Et elle s’est toujours insurgée contre ce rapprochement artistique : « Je n’ai jamais peint de rêves, j’ai peint ma réalité. » A l’époque, Diego Rivera était encore la star du tandem, mais aujourd’hui, c’est bien l’inclassable Frida Kahlo qui a le statut d’icône au Mexique.
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