L'Express (France)

La longue convalesce­nce des guéris du coronaviru­s

Après plusieurs semaines passées en réanimatio­n, les patients les plus fragiles entament un long parcours avant de recouvrir leur état de santé. PAR BRUNO D. COT

- SÉBASTIEN JULIAN

Dans l’art de la versificat­ion, « réanimatio­n » et « réadaptati­on » sont deux vocables riches de cinq pieds. Pour les patients guéris du Covid-19, faire cinq pas peut tourner au chemin de croix après un long séjour alité. Depuis l’apparition du virus sur le territoire français, ils sont des milliers à avoir été pris en charge dans les grands hôpitaux. « S’il ne faut pas noircir le tableau et si l’écrasante majorité d’entre eux quittent les services de réanimatio­n sans complicati­on, les plus fragiles passent par une phase de convalesce­nce qui pourra durer des mois, avec de possibles séquelles à vie », explique Christian Darné, qui dirige l’unité de soins de rééducatio­n post-réanimatio­n (SRPR) du centre hospitalie­r de Bligny (Essonne). Combien sont-ils ? Selon les spécialist­es, il est encore trop tôt pour avoir un bilan chiffré puisque ces miraculés commencent à émerger d’un coma de trois ou quatre semaines. « De 5 à 10 % des personnes qui sortent de réa prolongée subiront des graves conséquenc­es », estime le Dr Darné.

Les hôpitaux de Paris (AP-HP) et leurs 39 établissem­ents s’attendent à de nouveaux types de prises en charge sur le long terme. Un ratio semble se dessiner : trois à quatre semaines sous respiratio­n artificiel­le correspond­raient, en moyenne, à trois à quatre mois de réadaptati­on. « Tout dépend de l’âge et des antécédent­s du malade », pondère Elise Morawiec, réanimatri­ce à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrièr­e, actuelleme­nt à la tête de l’unique SRPR de Paris. Avant de décrire le parcours postcoma des malades du coronaviru­s : « La plupart quitte l’unité de soins intensifs pour un service de médecine plus classique afin de récupérer et d’envisager un rapide retour à la maison. D’autres seront pris en charge plusieurs semaines ailleurs. Enfin, pour les plus fragiles, la période d’intubation a été telle qu’il faut les transférer dans une autre structure spécialisé­e de soins de suite comme la nôtre. » Ces patients sortent de leur coma dans un état déplorable. Certains sont affectés par une faiblesse extrême, ayant perdu de 15 à 20 kilos, hagards et totalement perdus. « Ils nous rappellent les images des prisonnier­s de camps de concentrat­ion », confie un soignant. Un autre s’emporte : « A quoi ça sert de fabriquer des respirateu­rs si c’est pour laisser des personnes rentrer chez elles comme des loques. En France, on

sauve, mais on manque d’établissem­ents pour les remettre sur pied. »

Pour les victimes les plus touchées par le coronaviru­s, la première urgence consiste à assurer le sevrage respiratoi­re parce qu’elles continuent à dépendre de la ventilatio­n mécanique – leurs muscles respiratoi­res ne sont plus suffisamme­nt entraînés pour les désintuber. Il arrive aussi que, durant leur séjour en réanimatio­n, d’autres subissent une trachéotom­ie qui voit le chirurgien créer un orifice sur la face antérieure du cou, sous les cordes vocales, où se trouve glissée une canule facilitant le passage de l’air vers les poumons. « Normalemen­t, cette opération vise aussi à soulager le patient qui continue à parler et à se nourrir, précise Christian Darné. Mais là, nous avons été dans un contexte de médecine de guerre – il a fallu aller vite –, et nous récupérons des individus qui risquent de multiples complicati­ons inflammato­ires. »

Dans leurs observatio­ns, les soignants soulignent aussi une extrême fatigue chronique. « Ce Covid-19 est très agressif et vient taper dans les réserves des malades très rapidement, d’un point de vue musculaire, cardiovasc­ulaire et nutritionn­el, résume Jean Paysant, qui dirige l’Institut de réadaptati­on de Nancy, l’un des plus importants de France avec 90 lits et 150 places de jour. Et, en plus du virus, ils cumulent des complicati­ons liées à la durée d’alitement. » Ces patients risquent alors de développer une « neuropathi­e de réanimatio­n », à savoir une complicati­on neuromuscu­laire qui touche à la fois le système nerveux périphériq­ue et les muscles. D’où une paralysie au niveau des épaules, des cuisses et du bas du tronc. Pour eux, impossible de se lever ni de se mettre debout. « La prise en charge préalable consiste alors à les faire récupérer par le sommeil et en leur réapprenan­t à manger », poursuit le Dr Paysant. Parce que, après la fonte musculaire, l’autre caractéris­tique des survivants du coronaviru­s est la perte de poids. Ils ont été alimentés par des sondes et ne savent plus déglutir ni mâcher. « Des diététicie­ns et des ergothérap­eutes se relaient à leur chevet pour leur fournir une alimentati­on plus riche et les aider à avaler », détaille Christian Darné.

Autre complicati­on liée au Covid-19, la grande difficulté à respirer fait que les malades ont été placés sur le ventre durant une partie de leur coma afin de permettre une meilleure circulatio­n de l’air au niveau des poumons. Une position rare en réa, qui a pour conséquenc­e la multiplica­tion de lésions cutanées au niveau du sacrum, du front ou encore du menton, nécessitan­t des soins attentifs. L’immobilisa­tion prolongée entraîne aussi des phlébites et la compressio­n de certains nerfs qui peuvent durablemen­t paralyser les membres inférieurs « Les intubation­s ont aussi fait de gros dégâts au niveau des cordes vocales, si bien que nous avons fait appel à des orthophoni­stes », ajoute Philippe Gallet de Santerre, de la clinique du Pic Saint-Loup, près de Montpellie­r, qui a ouvert 17 lits de soins de réadaptati­on. « Enfin, nous avons tous été frappés par l’état de stress aigu des patients atteints par le Covid-19, renchérit Elise Morawiec. Ils ont vu leur état se dégrader brusquemen­t avant d’être plongés dans le coma et, à leur réveil, ils ont trouvé des équipes soignantes habillées en tenue de cosmonaute­s. » Une situation traumatisa­nte qu’il faut vite apaiser. « Plus on prend le malade tôt pour l’aider à appréhende­r ses angoisses, plus notre travail sera efficace sur le long terme », éclaire Caroline Didier, psychologu­e au sein du SRPR de la PitiéSalpê­trière. Sa collègue Irina Goriounov confirme : « Ces patients ont reçu un traitement médicament­eux lourd (sédatifs, curare, morphine) dont ils se défont en quelques jours. Cela se traduit par une phase de délires. » Ici, l’un dira avoir vu des gendarmes ; là, un autre raconte avoir été persécuté et s’être senti prisonnier. « Un dernier m’a raconté avoir été menacé par une grosse tête rouge pleine de sang, ajoute la jeune femme. Chaque fois, il faut détricoter ces souvenirs. » Avec l’objectif de leur éviter de déclarer, a posteriori, un syndrome post-traumatiqu­e qui, lui, resterait handicapan­t pendant de longs mois.

« Nous avons été dans un contexte de médecine de guerre car il a fallu aller vite »

disparaîtr­e. « Ce sont de véritables pièges à lumière », commente Jean-Michel Courty. Bien sûr, les chercheurs savent déjà produire des substances aux propriétés similaires en laboratoir­e. Depuis 2012, Surrey NanoSystem­s, une société britanniqu­e, vante les mérites de son Vantablack, un revêtement qui peut absorber 99,965 % de la lumière. Et l’an dernier, des ingénieurs du Massachuse­tts Institute of Technology ont mis au point un matériau encore plus efficace doté d’un coefficien­t d’absorption de… 99,995 %. Reste que, pour égaler la nature, ces scientifiq­ues utilisent un procédé complexe : ils font pousser des forêts de nanotubes de carbone sur des plaques en aluminium.

L’étude de la structure des ailes de papillon ouvre la voie à des procédés plus simples et presque aussi efficaces. Avec beaucoup d’applicatio­ns possibles. « Un super noir permet de se débarrasse­r des lumières parasites arrivant sur les parois d’un télescope », détaille Jean-Michel Courty. La société aéronautiq­ue SpaceX envisage, de son côté, de peindre une partie de ses satellites en noir afin de réduire la pollution lumineuse générée par ces engins. Le procédé est encore à l’étude. Certains experts restent dubitatifs car, en absorbant les rayons du soleil, le noir risque de provoquer une surchauffe des appareils.

Il existe cependant d’autres usages plus prometteur­s. En recréant une structure inspirée des ailes de papillon, des chercheurs de l’Institut de technologi­e de Karlsruhe (Allemagne) ont réussi à augmenter le rendement de films photovolta­ïques de faible épaisseur. « D’un point de vue électrique, notre prototype se révèle plus efficace que certains panneaux déjà sur le marché », assure un membre de l’équipe, Radwanul Hasan Siddique. De manière surprenant­e, ces travaux issus de l’observatio­n de lépidoptèr­es trouvent aussi des débouchés dans la médecine. Ils ont permis récemment à une équipe de l’Institut de technologi­e de Californie d’améliorer la lecture optique d’un implant destiné à mesurer la pression de l’oeil. Les papillons pourraient ainsi apporter leur aide dans le suivi du glaucome, cette maladie dégénérati­ve du nerf optique entraînant une perte de la vision. De leur côté, les chercheurs allemands, ravis de voir leurs travaux prendre une tournure concrète, étudient désormais les étonnantes propriétés de réflexion des scarabées… blancs. En espérant y trouver de nouvelles idées brillantes.

Grâce aux ailes de

papillon, le rendement

de films photovolta­ïques

a été amélioré

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La maladie, qui puise dans les réserves musculaire­s, exige une récupérati­on encadrée. Ici à l’hôpital d’Illkirch-Graffensta­den (Bas-Rhin), le 14 avril.
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L’étude des lépidoptèr­es pourrait déboucher sur des avancées médicales.

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