FAITES-MOI PLAISIR PAR MARY GAITSKILL, TRAD. DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR MARGUERITE CAPELLE. L’OLIVIER, 108 P., 13 €.
S’il y a bien une Américaine qui prend le contre-pied du politiquement correct cher à ses compatriotes, c’est elle : Mary Gaitskill, née en 1954, essayiste, romancière et nouvelliste réputée (Mauvaise conduite, Veronica ou encore La Faille l’ont fait connaître en France), met cette fois les pieds, ou plutôt la plume, dans le plat féministe avec originalité. Faites-moi plaisir, novella d’une centaine de pages très denses, donne la parole à un éditeur new-yorkais charismatique, Quin, tout juste licencié. Plusieurs femmes l’ont accusé de « comportement abusif », et le voilà devenu un « paria ». Il ne comprend pas que ce qu’elles lui reprochent. Margot Berland, son amie depuis vingt ans, également éditrice, tergiverse : elle apprécie Quin pour sa disponibilité, ses conseils, son humour, son grain de folie. Mais elle sait aussi que l’homme peut faire preuve d’obscénité et de perversion…
Dans ce récit à deux voix, Quin et Margot s’expriment tour à tour pour remonter le temps, « avant que tout ne tourne au vinaigre ». Elle-même avait repoussé un geste déplacé au début de leur relation : « Tu traites les gens comme un divertissement. Tu plaisantes, tu aiguillonnes juste pour voir ce qui va les faire bondir, dans quel sens et jusqu’où. » Lui se défend de toute agression sexuelle. Ce qu’apprécie cet homme marié, très attaché à son épouse et à leur fille, c’est de flirter, quitte à agir en « provocateur ». Margot parle de respect, Quin, de liberté. L’auteure, elle, ne prend pas parti. C’est tout l’intérêt de son livre, qui interroge subtilement les ambivalences de chacun et souligne à quel point les lignes ont bougé depuis le mouvement #MeToo.