LA FILLE DE PERSONNE PAR CÉCILE LADJALI. ACTES SUD, 208 P., 19,50 €.

Muse, soeur, fille, confidente, assistante… Luce Notte, l’héroïne du livre de Cécile Ladjali, aura été tout cela à la fois. A ses côtés, et à plus de trentecinq ans d’écart, deux écrivains, et pas des moindres : Franz Kafka (18831924) et Sadegh Hedayat (19031951), auteurs géniaux, torturés, ardents, mus aussi par des instincts suicidaires et la folle envie de détruire leurs oeuvres. C’est donc cette jeune femme, née en Allemagne d’une fillemère et d’un coureur de jupons volatilisé, qui sera le trait d’union entre le Tchèque et l’Iranien, le célèbre auteur de La Métamorphose et celui de La Chouette aveugle. Comme « condamnée à établir des liens » entre les existences de ce « duo mélancolique », Luce navigue entre la Prague de l’avantguerre et le Paris du début des années 1950. Pour financer sa thèse sur les bibliothèques du monde, elle prend du service chez les Kafka en 1912, assiste aux sautes d’humeur du père, le rustre et grossier Hermann, et s’occupe de Franz, dont elle partage les angoisses et lit en cachette le fameux Journal (voir page 74).

Puis elle s’installe à Paris au printemps 1914, devient libraire et rencontre Sadegh un soir d’avril 1951. Fils d’un haut dignitaire iranien, artiste dissident sujet à la censure du régime, ce dernier vit seul dans une mansarde de la rue Championnet. « Je crois aux familles d’écrivains, je crois aux fratries d’auteurs », lui confie Sadegh, dont Franz est l’idole. Il voit en Luce une « passeuse », rôle qu’endosse volontiers cette « fille de personne ». Dans ce roman tout en clairobscur, Cécile Ladjali, ellemême d’origine iranienne, se fait « accoucheuse des rêves ». On la suit, fasciné, au coeur de la création et des états d’âme de ces deux grands écrivains du xxe siècle.