MONSTRES FABULEUX. DRACULA, ALICE, SUPERMAN, ET AUTRES AMIS LITTÉRAIRES PAR ALBERTO MANGUEL, TRADUIT DE L’ANGLAIS (CANADA) PAR CHRISTINE LE BOEUF. ACTES SUD, 284 P., 22,50 €.
Alberto Manguel est un monstrueux puits de science. Il le prouve encore une fois avec ces 38 portraits de personnages célèbres ou mythologiques. On passe du Petit Chaperon rouge à Frankenstein, de Faust à Satan, de Sinbad à Long John Silver, le tout illustré par l’auteur luimême. Le septuagénaire argentinocanadien, bercé durant sa jeunesse par des créations comme Les Aventures de Pinocchio et Mandrake, évoque avec virtuosité ces compagnons de toute une vie. Son analyse de la bibliothèque sousmarine du capitaine Nemo, miroir de l’âme tourmentée et anarchiste du savant fou créé par Jules Verne, est pénétrante, tout comme sa lecture d’Alice au pays des merveilles, réplique mimerveilleuse micauchemardesque de notre monde absurde, que Lewis Carroll tentait de dompter avec les mots.
Manguel surprend aussi en portraiturant des « seconds couteaux » de la littérature : le terne M. Bovary, qui n’a pas laissé un grand souvenir, ou la rayonnante Phoebe, soeur de Holden Caulfield, le héros de L’Attrapecoeurs. Il y a du Umberto Eco dans cette manière gourmande et érudite de confronter les époques et les genres. Mais justement, à vouloir brasser trop large, à ensevelir chaque texte sous une pluie de références, Alberto Manguel prend le risque de perdre son lecteur en route. On saute à chaque page de Nietzsche à Superman, de Zénon à Dante, de Magritte aux chaldéens, dans une sorte de zapping effréné et intimidant. Quand s’achève ce déluge de noms propres, on a un peu le sentiment d’avoir tenu, non un livre, mais une poignée de sable de l’île de Robinson Crusoé entre les doigts.