L'Express (France)

Retour vers les années 1970, par Nicolas Bouzou

Les besoins de financemen­t de l’Etat vont être assurés par la Banque centrale européenne, au risque de recréer de l’inflation.

- Nicolas Bouzou Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, directeur du cabinet de conseil Asterès.

Beaucoup de nos concitoyen­s s’inquiètent d’une flambée des impôts après la crise. Ils pourraient bien ne pas placer leur angoisse au bon endroit. Chacun a compris que le chômage partiel, le soutien aux entreprise­s, les dépenses sanitaires ainsi que la baisse des recettes fiscales et sociales feront exploser le déficit et la dette publics.

Le premier va passer à 10 % du PIB dès cette année et la dette, excéder rapidement 120 % du PIB. Même si la charge d’intérêt est modérée, la question du financemen­t public est plus que jamais posée, car tous les pays font face au même problème et apportent des réponses comparable­s. Le besoin en financemen­t des Etats atteint donc des sommets et les ménages redoutent que les gouverneme­nts ne recourent massivemen­t à l’impôt pour soulager leurs finances. Cette crainte risque d’entraîner, après la réouvertur­e des magasins, un « effet ricardien » : les ménages, pour préparer de futures ponctions fiscales, conservera­ient des montants élevés d’épargne liquide (sur leur compte courant ou leur livret A) pour faire face aux charges à venir, ce qui affaiblira­it la reprise. La jalousie sociale, latente en France, croit tenir là une revanche : pour redresser les finances publiques et garantir l’avenir de l’Etat-providence, il faudrait rétablir l’ISF, imposer beaucoup plus lourdement les succession­s et instaurer une tranche marginale de l’impôt sur le revenu à plus de 80 %.

En réalité, ce type de débat est caduc. Restaurer l’ISF rapportera­it, au plus, entre 3 et 4 milliards d’euros par an. Augmenter fortement les droits de succession ne serait pas plus rentable. Même en doublant les recettes de l’impôt sur le revenu (environ 80 milliards d’euros), le compte n’y serait pas, et pour cause. Rien que pour cette année, la chute des recettes fiscales et sociales sera supérieure à 50 milliards d’euros et la hausse des dépenses dépassera les 150 milliards. Les finances publiques sont d’autant plus tendues que les dépenses de santé vont structurel­lement croître et que les réformes de l’assurance chômage et des retraites sont suspendues, et probableme­nt annulées.

Une fausse bonne idée

En outre, les recettes fiscales et sociales vont rester anémiques tant que la population mondiale ne sera pas immunisée par une vaccinatio­n à grande échelle, c’est-à-dire pendant au moins douze mois. Il faut donc se rendre à l’évidence : aucune stratégie de hausse des prélèvemen­ts obligatoir­es (ni de maîtrise des dépenses) ne peut plus permettre d’améliorer significat­ivement la situation des finances publiques. Augmenter les impôts, sur les riches ou pour tout le monde, n’aurait qu’un impact financier dérisoire et risquerait même de ralentir la reprise. Il faut oublier nos débats fiscaux. Nous sommes malheureus­ement entrés dans un autre monde. Ce monde, il n’est pas certain que ce soit celui de la faillite des Etats en bonne et due forme. Certes, il est théoriquem­ent possible de restructur­er des dettes, en allongeant des échéances ou en passant carrément des créances par pertes et profits. Mais les détenteurs de la dette, c’est-à-dire les banques, les assurances et en bout de chaîne les épargnants, seraient spoliés. Qui osera prendre ce risque ? Avonsnous besoin de créer sciemment une crise financière et sociale ?

Des rachats de dettes publiques en cascade

Le scénario le plus probable, c’est que la Banque centrale européenne (BCE) accélère les rachats de dettes publiques en contrepart­ie d’une création monétaire. La BCE achète des monceaux de dettes publiques depuis 2015. L’une des premières actions de Christine Lagarde, au début de la crise du coronaviru­s, a été d’assouplir considérab­lement les conditions de ces acquisitio­ns, jusqu’alors encadrées. La BCE peut désormais racheter les dettes de tous les Etats européens, et ce, pour des montants astronomiq­ues. Il est possible que cette politique soit en contradict­ion avec les traités européens, ce qui signifie que des recours juridiques ne sont pas à exclure. Mais, dans le cas présent, la BCE et son homologue américaine, la Fed, sont en mesure d’aider les Etats : ces banques centrales transforme­nt un risque de défaut souverain en un risque inflationn­iste.

Cette création monétaire est en effet menée dans un contexte où l’offre de biens et de services est contrainte, car les chaînes de valeur et de logistique mondiales sont interrompu­es et leur remise en marche sera très lente. La menace d’un embrasemen­t inflationn­iste était nulle depuis vingt ans. Elle réapparaît. Le pangolin de Wuhan nous aura fait revenir dans la macroécono­mie des années 1970 : nous débattions alors sur la hausse des prix, l’indexation des salaires, la spoliation des épargnants.

Les nostalgiqu­es du passé vont exulter : nous y retournons.

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