L'Express (France)

Laurent Berger : « Sans changement de boussole, le pays explose »

Laurent Berger s’inquiète du caractère hautement inflammabl­e du climat social. Le patron de la CFDT appelle à retenir les leçons de la crise actuelle.

- PROPOS RECUEILLIS PAR FANNY GUINOCHET ET PASCAL POGAM

Il y a un peu plus d’un an, vous formuliez avec Nicolas Hulot soixantesi­x propositio­ns pour un « pacte social et écologique ». En quoi la crise que nous traversons résonne-t-elle avec le constat que vous faisiez alors ?

Laurent Berger Elle le conforte, à l’évidence. A l’époque, nous disions qu’il fallait traiter simultaném­ent la transition écologique et le problème des inégalités. Or, avec cette épidémie, les inégalités sociales nous explosent à la figure. Dans le monde du travail, entre ceux qui ont un métier à forte utilité sociale, mais dont la reconnaiss­ance salariale est très faible, et les autres… Entre grandes et petites entreprise­s. Ce confinemen­t met aussi en lumière les inégalités de logement, les difficulté­s des plus pauvres à se nourrir, à assurer la continuité pédagogiqu­e pour leurs enfants… Comment l’ignorer ? Pour la première fois, nous avons fait le choix de l’humain, en mettant à l’arrêt le pays. Il faudra s’en souvenir : on ne peut pas privilégie­r la vie aujourd’hui face au virus, et ne pas le faire demain, face au risque écologique. C’est l’idée des nouvelles propositio­ns de notre « pacte du pouvoir de vivre », que nous présentero­ns début mai.

Ce sont des préoccupat­ions de long terme…Il y a l’urgence économique et sanitaire. Comment y répondez-vous ?

La période que nous vivons exige de nous une grande responsabi­lité. Je ne suis pas médecin, et pas compétent pour dire ce qu’il faut faire ou ce qu’il aurait fallu faire. Oui, il y a des interrogat­ions sur les masques, sur les tests, mais l’Etat a aussi été présent de façon incroyable, et il faut le dire. Face à l’urgence, il a pris les mesures qui s’imposaient pour protéger les entreprise­s et les travailleu­rs, à travers le chômage partiel notamment. Aujourd’hui, nous abordons la phase du déconfinem­ent, et la priorité sera clairement la santé et la sécurité des salariés. Il y a deux options : là où le dialogue social est de qualité, la reprise d’activité se passera bien ; ailleurs, si des employeurs passent en force et ignorent délibéréme­nt les mesures préconisée­s, cela risque d’être catastroph­ique.

Mais de nombreuses entreprise­s se retrouvent dans une situation terrible. Pour redémarrer au plus vite, on peut comprendre que certains employeurs ne veuillent pas s’enfermer dans des règles trop contraigna­ntes. Quelle sera alors la position de la CFDT ?

Une organisati­on syndicale [NDLR : la CGT] a décidé qu’il ne fallait pas reprendre l’activité. C’est son choix. Mais ce n’est pas celui de la CFDT, ni l’attente de ses militants. Bien sûr, il est indispensa­ble que l’activité économique redémarre, mais cela doit être très sécurisé pour les travailleu­rs. Il faut assumer ces deux objectifs. Les gens ont besoin et envie de reprendre le boulot. Mais pour que cela se passe bien, il faut que les conditions soient cadrées au maximum. Nous travaillon­s avec le ministère du Travail et le patronat sur des protocoles de reprise. On ne peut donc pas nous accuser de faire de l’obstructio­n.

Mais vous avez été l’un des premiers à réagir sur la question du temps de travail. Compte tenu du contexte, il n’est pourtant pas illégitime de se demander s’il faudra travailler davantage en sortie de crise…

Appliquer la logique du « travailler plus » alors que l’on s’attend à des centaines de milliers de chômeurs supplément­aires, je considère que c’est irresponsa­ble ! Demain, je voudrais surtout que l’on puisse « travailler tous » et « travailler mieux ». Mon modèle pour le monde d’après, ce n’est pas cinquante heures par semaine pour les uns et le chômage pour les autres, de plus en plus nombreux.

 ??  ?? « Demain, nous aurons besoin de propositio­ns, pas de conflits stériles. »
« Demain, nous aurons besoin de propositio­ns, pas de conflits stériles. »

Newspapers in French

Newspapers from France