Laurent Berger : « Sans changement de boussole, le pays explose »
Laurent Berger s’inquiète du caractère hautement inflammable du climat social. Le patron de la CFDT appelle à retenir les leçons de la crise actuelle.
Il y a un peu plus d’un an, vous formuliez avec Nicolas Hulot soixantesix propositions pour un « pacte social et écologique ». En quoi la crise que nous traversons résonne-t-elle avec le constat que vous faisiez alors ?
Laurent Berger Elle le conforte, à l’évidence. A l’époque, nous disions qu’il fallait traiter simultanément la transition écologique et le problème des inégalités. Or, avec cette épidémie, les inégalités sociales nous explosent à la figure. Dans le monde du travail, entre ceux qui ont un métier à forte utilité sociale, mais dont la reconnaissance salariale est très faible, et les autres… Entre grandes et petites entreprises. Ce confinement met aussi en lumière les inégalités de logement, les difficultés des plus pauvres à se nourrir, à assurer la continuité pédagogique pour leurs enfants… Comment l’ignorer ? Pour la première fois, nous avons fait le choix de l’humain, en mettant à l’arrêt le pays. Il faudra s’en souvenir : on ne peut pas privilégier la vie aujourd’hui face au virus, et ne pas le faire demain, face au risque écologique. C’est l’idée des nouvelles propositions de notre « pacte du pouvoir de vivre », que nous présenterons début mai.
Ce sont des préoccupations de long terme…Il y a l’urgence économique et sanitaire. Comment y répondez-vous ?
La période que nous vivons exige de nous une grande responsabilité. Je ne suis pas médecin, et pas compétent pour dire ce qu’il faut faire ou ce qu’il aurait fallu faire. Oui, il y a des interrogations sur les masques, sur les tests, mais l’Etat a aussi été présent de façon incroyable, et il faut le dire. Face à l’urgence, il a pris les mesures qui s’imposaient pour protéger les entreprises et les travailleurs, à travers le chômage partiel notamment. Aujourd’hui, nous abordons la phase du déconfinement, et la priorité sera clairement la santé et la sécurité des salariés. Il y a deux options : là où le dialogue social est de qualité, la reprise d’activité se passera bien ; ailleurs, si des employeurs passent en force et ignorent délibérément les mesures préconisées, cela risque d’être catastrophique.
Mais de nombreuses entreprises se retrouvent dans une situation terrible. Pour redémarrer au plus vite, on peut comprendre que certains employeurs ne veuillent pas s’enfermer dans des règles trop contraignantes. Quelle sera alors la position de la CFDT ?
Une organisation syndicale [NDLR : la CGT] a décidé qu’il ne fallait pas reprendre l’activité. C’est son choix. Mais ce n’est pas celui de la CFDT, ni l’attente de ses militants. Bien sûr, il est indispensable que l’activité économique redémarre, mais cela doit être très sécurisé pour les travailleurs. Il faut assumer ces deux objectifs. Les gens ont besoin et envie de reprendre le boulot. Mais pour que cela se passe bien, il faut que les conditions soient cadrées au maximum. Nous travaillons avec le ministère du Travail et le patronat sur des protocoles de reprise. On ne peut donc pas nous accuser de faire de l’obstruction.
Mais vous avez été l’un des premiers à réagir sur la question du temps de travail. Compte tenu du contexte, il n’est pourtant pas illégitime de se demander s’il faudra travailler davantage en sortie de crise…
Appliquer la logique du « travailler plus » alors que l’on s’attend à des centaines de milliers de chômeurs supplémentaires, je considère que c’est irresponsable ! Demain, je voudrais surtout que l’on puisse « travailler tous » et « travailler mieux ». Mon modèle pour le monde d’après, ce n’est pas cinquante heures par semaine pour les uns et le chômage pour les autres, de plus en plus nombreux.