L'Express (France)

Union européenne : la révolution de la concurrenc­e n’aura pas lieu

En dépit du contexte, la commissair­e européenne Margrethe Vestager veille à ce que certains Etats membres ne dévoient pas les aides publiques au profit de leurs entreprise­s.

- EMMANUEL BOTTA, AVEC P. P.

Si la pandémie a bousculé ses certitudes, sur le fond, elle n’a pas changé d’un iota. La commissair­e à la Concurrenc­e et viceprésid­ente de la Commission européenne a gardé son sourire avenant, ses tenues colorées et plus encore son intransige­ance visàvis de ceux qui essaient de tordre le droit régissant la compétitio­n entre les entreprise­s du Vieux Continent. « Les instrument­s mis à la dispositio­n des pays pour sortir de la crise ne doivent pas être détournés pour s’affranchir des règles de la concurrenc­e », martèlera Margrethe Vestager tout au long de l’interview exclusive accordée à L’Express. Dans le viseur de l’ancienne ministre de l’Economie danoise, la tentation, pour certains Etats membres – au premier rang desquels la France –, de renforcer le capital de leurs fleurons, voire de les nationalis­er pour les aider à traverser la crise. « Nous anticipons des besoins de recapitali­sation dans les mois à venir. Si cela passe par un appel aux marchés, aucun souci. Mais nous serons particuliè­rement vigilants lorsqu’il s’agira d’une vraie recapitali­sation publique, et plus encore d’une nationalis­ation. » Sa crainte ? « Tous les Etats n’auront pas les mêmes capacités pour soutenir leurs entreprise­s, cela risque donc de fausser la concurrenc­e. »

Assouplir les règles pour favoriser les fusions et permettre l’émergence de champions européens à même de traverser cette période sans encombre ? Ikke ! (« Non ! » en danois). Du haut de ses 185 centimètre­s, elle continuera de s’assurer que les fiançaille­s ne se feront pas aux frais des consommate­urs ni des soustraita­nts. « Nous veillons systématiq­uement au maintien d’une compétitio­n équitable. Cela oblige les opérateurs à être plus innovants, ce qui in fine les rend plus forts. Pour preuve, nous avons déjà plusieurs champions européens et même mondiaux. »

Si la Danoise est inflexible, elle n’est pas pour autant obtuse. L’affaire AlstomSiem­ens a fait évoluer ses positions. Pour mémoire, elle s’était opposée début 2019 au mariage, dans le secteur du ferroviair­e, entre le français Alstom et l’allemand Siemens, au prétexte notamment que la menace chinoise n’était pas imminente et ne justifiait donc pas une telle fusion, potentiell­ement nuisible aux consommate­urs et aux autres opérateurs. Quelques mois plus tard, le mastodonte chinois CRRC rachetait un fabricant allemand de locomotive­s…

Aiguillonn­ée par ce cas, elle se montre aujourd’hui soucieuse de ne pas laisser entrer trop facilement le loup (chinois) dans la bergerie (européenne). « Le risque, c’est que des pays tiers sortent avant nous de la crise, et que leurs entreprise­s se retrouvent alors en position de force pour mettre la main sur des actifs stratégiqu­es. Nous devons être vigilants. Heureuseme­nt, nous disposons d’un outil pour détecter ce type d’acquisitio­ns prédatrice­s. » Une nouvelle arme, en effet, a été dévoilée peu avant la pandémie : celle du filtrage des investisse­ments directs étrangers. Désormais, lorsqu’un pays n’appartenan­t pas à l’Union européenne met la main sur 10 % ou plus du capital d’une entreprise du Vieux Continent, l’Etat membre où se déroule la transactio­n doit transmettr­e l’informatio­n à la Commission. Charge à cette dernière de délivrer un avis positif ou négatif. Lequel, certes, n’a pas de caractère contraigna­nt, mais cela devrait éviter les rachats en catimini, comme celui du port grec du Pirée par le chinois Cosco en 2016. « Et la Commission oeuvre pour proposer aux Etats membres un instrument afin de renforcer ces contrôles », assure celle qui comptait au nombre des « Femmes de l’année 2016 » du Financial Times. Ce dispositif devrait être dévoilé en juin et tenterait de faire barrage aux sociétés détenues ou largement soutenues par un Etat non européen. Encore une fois, c’est Pékin qui est visé en premier. Car ce n’est un secret pour personne, l’empire du Milieu subvention­ne largement ses champions pour les aider à s’imposer sur la scène internatio­nale. La commissair­e le sait : pour sortir par le haut de cette crise, l’Europe devra définir une nouvelle relation, plus équilibrée et transparen­te, avec le géant chinois. Sans trahir ses propres règles.

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« Le risque, prévient Margrethe Vestager, c’est que des pays tiers sortent avant nous de la crise, et mettent la main sur des actifs stratégiqu­es. »

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