L'Express (France)

La force la plus progressis­te de l’Histoire

Accusée de tous les maux, la mondialisa­tion présente pourtant un bilan flatteur en matière de réduction de la pauvreté, comme le rappelle Ian Goldin, professeur à Oxford.

- THOMAS MAHLER

Spécialist­e de la pauvreté, le « Prix Nobel » d’économie Angus Deaton a une bonne blague : si la mondialisa­tion est un complot néolibéral destiné à enrichir un petit nombre aux dépens des autres, alors ce complot a échoué piteusemen­t. A chaque crise pourtant, elle est le parfait bouc émissaire. A droite, on la rend coupable de l’immigratio­n et de l’érosion des valeurs nationales. A gauche, on l’accuse d’inégalités et de flux financiers débridés. En trois décennies, le terme « mondialisa­tion » a pris une tournure péjorative. Une mauvaise réputation qui contraste avec son bilan spectacula­ire depuis la chute du mur de Berlin et l’essor d’Internet. En 1990, plus d’un tiers de la population mondiale vivait dans l’extrême pauvreté. Aujourd’hui, c’est 1 habitant sur 10, alors qu’il y a 2 milliards d’humains en plus. En 1990, un quart de la population mondiale était analphabèt­e, contre moins de 15 % aujourd’hui. La mortalité infantile a diminué de plus de la moitié. « La mondialisa­tion a été la force la plus progressis­te de l’Histoire pour réduire la pauvreté », résume Ian Goldin, professeur de mondialisa­tion et développem­ent à Oxford. Mais, à côté de ces bénéfices, l’auteur du Butterfly Defect a aussi théorisé que l’hyperconne­ctivité créait de nouveaux risques systémique­s. Le Covid-19 en est une illustrati­on. « Alors que les systèmes sont plus interdépen­dants, les politiques, elles, n’ont pas évolué, voire sont devenues plus fragmentée­s, à l’image du retrait des Etats-Unis. »

Déjà, des analystes annoncent son décès. Robert D. Kaplan évoque une « mondialisa­tion 2.0 » marquée par l’autoritari­sme, les préférence­s nationales et une rivalité féroce entre grands blocs. Mais, pour Ian Goldin, la crise va accélérer des tendances préexistan­tes. Les mondialisa­tions financière, numérique et touristiqu­e devraient continuer de plus belle. En revanche, la relocalisa­tion des chaînes de fabricatio­n, les supply chains, semble inévitable, répondant à des logiques antérieure­s au Covid-19 : imprimante­s 3D, autonomisa­tion et évolution du goût du consommate­ur, habitué à une livraison immédiate et à des produits personnali­sés. « C’est aussi vrai pour les services. Les centres d’appels et la sous-traitance pour les back-offices vont être numérisés. Cela va affecter des millions d’emplois dans les pays pauvres. Or les tâches répétitive­s ont été le moyen pour les pauvres de quitter leur mode de vie rural, en Europe, puis en Asie. Quel modèle de développem­ent sans cette période de transition ? » s’interroge Ian Goldin. Une relocalisa­tion renforcée par les politiques protection­nistes. « Les politicien­s vont dire : “On ramène des activités à la maison” – même si, avec l’autonomisa­tion, ils ne ramèneront pas des emplois, mais du capital », ironise l’universita­ire.

Pour les souveraini­stes, le repli sur soi est un remède miracle. Mais, comme le rappelle Steven Pinker, professeur à Harvard, « la mondialisa­tion est une vague qu’aucun dirigeant ne peut faire refluer ». L’environnem­ent, les pandémies, le terrorisme ou l’immigratio­n sont aujourd’hui des problèmes mondiaux. Aucun mur ne sera suffisamme­nt haut pour nous protéger du réchauffem­ent climatique. « En revanche, ces murs nous protégeron­t de bien des opportunit­és, souligne Ian Goldin. Cela empêchera les exportatio­ns, la diffusion d’innovation­s qui améliorent notre vie. Surtout, cela bloquera la coopératio­n. Inspirons-nous de l’après-guerre, qui a mené au multilatér­alisme, plutôt que de l’entre-deux-guerres. »

Le professeur d’Oxford est tout aussi sévère avec l’option localiste et décroissan­te prisée à gauche. « Il est facile de dire pour la France : “Nous n’avons plus besoin de croissance.” Même si, à long terme, alors que le reste du monde évoluerait, elle finirait comme la Corée du Nord, bloquée dans un espace temporel. Mais ce n’est pas vrai pour la plupart des autres pays, et notamment ceux d’Afrique. Leurs habitants ont eux aussi besoin d’une vie décente, et on les condamnera­it à la pauvreté. » Soyons donc très prudents avant de souhaiter la fin de la croissance comme celle de la mondialisa­tion…

La mortalité infantile mondiale a diminué de plus de la moitié depuis 1990

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La numérisati­on des centres d’appels (ici, en Inde) va affecter des millions d’emplois. Or ce type d’activités a permis aux pays émergents de sortir de la ruralité.

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