La force la plus progressiste de l’Histoire
Accusée de tous les maux, la mondialisation présente pourtant un bilan flatteur en matière de réduction de la pauvreté, comme le rappelle Ian Goldin, professeur à Oxford.
Spécialiste de la pauvreté, le « Prix Nobel » d’économie Angus Deaton a une bonne blague : si la mondialisation est un complot néolibéral destiné à enrichir un petit nombre aux dépens des autres, alors ce complot a échoué piteusement. A chaque crise pourtant, elle est le parfait bouc émissaire. A droite, on la rend coupable de l’immigration et de l’érosion des valeurs nationales. A gauche, on l’accuse d’inégalités et de flux financiers débridés. En trois décennies, le terme « mondialisation » a pris une tournure péjorative. Une mauvaise réputation qui contraste avec son bilan spectaculaire depuis la chute du mur de Berlin et l’essor d’Internet. En 1990, plus d’un tiers de la population mondiale vivait dans l’extrême pauvreté. Aujourd’hui, c’est 1 habitant sur 10, alors qu’il y a 2 milliards d’humains en plus. En 1990, un quart de la population mondiale était analphabète, contre moins de 15 % aujourd’hui. La mortalité infantile a diminué de plus de la moitié. « La mondialisation a été la force la plus progressiste de l’Histoire pour réduire la pauvreté », résume Ian Goldin, professeur de mondialisation et développement à Oxford. Mais, à côté de ces bénéfices, l’auteur du Butterfly Defect a aussi théorisé que l’hyperconnectivité créait de nouveaux risques systémiques. Le Covid-19 en est une illustration. « Alors que les systèmes sont plus interdépendants, les politiques, elles, n’ont pas évolué, voire sont devenues plus fragmentées, à l’image du retrait des Etats-Unis. »
Déjà, des analystes annoncent son décès. Robert D. Kaplan évoque une « mondialisation 2.0 » marquée par l’autoritarisme, les préférences nationales et une rivalité féroce entre grands blocs. Mais, pour Ian Goldin, la crise va accélérer des tendances préexistantes. Les mondialisations financière, numérique et touristique devraient continuer de plus belle. En revanche, la relocalisation des chaînes de fabrication, les supply chains, semble inévitable, répondant à des logiques antérieures au Covid-19 : imprimantes 3D, autonomisation et évolution du goût du consommateur, habitué à une livraison immédiate et à des produits personnalisés. « C’est aussi vrai pour les services. Les centres d’appels et la sous-traitance pour les back-offices vont être numérisés. Cela va affecter des millions d’emplois dans les pays pauvres. Or les tâches répétitives ont été le moyen pour les pauvres de quitter leur mode de vie rural, en Europe, puis en Asie. Quel modèle de développement sans cette période de transition ? » s’interroge Ian Goldin. Une relocalisation renforcée par les politiques protectionnistes. « Les politiciens vont dire : “On ramène des activités à la maison” – même si, avec l’autonomisation, ils ne ramèneront pas des emplois, mais du capital », ironise l’universitaire.
Pour les souverainistes, le repli sur soi est un remède miracle. Mais, comme le rappelle Steven Pinker, professeur à Harvard, « la mondialisation est une vague qu’aucun dirigeant ne peut faire refluer ». L’environnement, les pandémies, le terrorisme ou l’immigration sont aujourd’hui des problèmes mondiaux. Aucun mur ne sera suffisamment haut pour nous protéger du réchauffement climatique. « En revanche, ces murs nous protégeront de bien des opportunités, souligne Ian Goldin. Cela empêchera les exportations, la diffusion d’innovations qui améliorent notre vie. Surtout, cela bloquera la coopération. Inspirons-nous de l’après-guerre, qui a mené au multilatéralisme, plutôt que de l’entre-deux-guerres. »
Le professeur d’Oxford est tout aussi sévère avec l’option localiste et décroissante prisée à gauche. « Il est facile de dire pour la France : “Nous n’avons plus besoin de croissance.” Même si, à long terme, alors que le reste du monde évoluerait, elle finirait comme la Corée du Nord, bloquée dans un espace temporel. Mais ce n’est pas vrai pour la plupart des autres pays, et notamment ceux d’Afrique. Leurs habitants ont eux aussi besoin d’une vie décente, et on les condamnerait à la pauvreté. » Soyons donc très prudents avant de souhaiter la fin de la croissance comme celle de la mondialisation…
La mortalité infantile mondiale a diminué de plus de la moitié depuis 1990