Macron et Sarkozy, méfiance et déférence
L’actuel et l’ancien présidents échangent beaucoup, mais aucun n’est dupe. L’un comme l’autre espère que cette relation servira ses intérêts.
On croirait presque à un beau roman d’amitié, débuté il y a un peu moins de trois ans. A l’opposé de la relation difficile – pour ne pas dire exécrable – qu’il entretient avec François Hollande, c’est une forme de complicité qu’Emmanuel Macron cultiverait avec Nicolas Sarkozy. Une bienveillance mutuelle. Au coeur de la crise sanitaire et économique qui secoue violemment le pays depuis maintenant près de deux mois, on se lance des signaux. A chaque tournant, à chaque décision capitale, un entretien téléphonique a lieu entre le président de la République et son prédécesseur favori, confiné au cap Nègre, dans la maison familiale de son épouse. Tel fut le cas au soir du premier tour des élections municipales, à la veille de la mise en place du confinement, puis quelques jours avant l’allocution télévisée du 13 avril.
A un bout du fil, un homme sur lequel repose la destinée de la nation, qui voit dans ces échanges un moyen de conforter la légitimité de ses décisions. A l’autre, un ancien président sensible à la flatterie – de l’avis de la quasi-totalité de la droite française –, qui bouillonne toujours devant l’actualité et la gestion des affaires. Nul n’est dupe des arrière-pensées de chacun. Les animaux politiques ne s’assoupissent pas. « Je ne crois pas le quart d’une moitié de seconde à une entente amicale ou à l’honnêteté des marques de soutien entre les deux, analyse un briscard de la vie politique qui les connaît bien. D’un côté, vous avez Sarko ; de l’autre, quelqu’un qui est capable de trahir Hollande en quarantehuit heures. Comment voulez-vous qu’ils se fassent pleinement confiance ? Si, en ce moment, Nicolas parle, ou plutôt fait parler ses proches, c’est parce qu’il a le sentiment que l’autre fait tout l’inverse de ce qu’il lui conseille quand il l’a au téléphone. »
C’est dans l’urgence et le marasme que l’ancien et le nouveau locataires de l’Elysée, que l’on a tendance à comparer, dévoilent le mieux leurs spécificités. De style, de communication, de gouvernance. « Ils sont très différents dans leur façon de pratiquer le pouvoir, c’est évident, souffle un intime de Nicolas Sarkozy. Ce n’est pas parce qu’ils se parlent et que ça se passe bien que tout ce que fait Macron est validé par Sarko. Seulement, celui-ci ne veut pas l’exprimer, il souhaite rester mystérieux. »
Ce n’est pas le moment d’ajouter au brouhaha ambiant. Nicolas Sarkozy, comme François Baroin d’ailleurs, l’a bien compris. Mais, en privé, l’ex-chef de l’Etat n’est pas particulièrement tendre avec son jeune successeur. Illustration : au téléphone récemment avec un ancien membre des Républicains converti au macronisme, Nicolas Sarkozy – pour qui « le pire risque, c’est de ne pas en prendre, et, quand une décision est bonne, il faut la prendre tout de suite » – a tancé l’attentisme et le lyrisme de Macron : « Il faut qu’il décide vite… Mais décider, et vite, ne sont pas des choses qu’il sait faire. Et puis, il faut qu’il arrête de dire merci ! “Merci aux soignants”, “merci aux journalistes”… Quand tu prends l’avion et qu’il est en train de chuter, que fait le pilote ? Tu crois qu’il dit merci aux hôtesses de l’air, aux stewards ? Non, il ne dit merci à personne ; il tient le manche et il redresse l’avion. »
Ces observations acides, il les glisse même directement aux membres du gouvernement, auxquels il ne se prive pas de donner son plan pour les mois qui viennent. L’un d’eux relate sa discussion, il y a peu, avec l’ex-président : « Il critique le “en même temps” en période de crise et considère que la com est foirée sur cette séquence. Pour l’après, il est persuadé que l’union nationale est un boulevard pour le Rassemblement national, et qu’il faut trois mesures radicales, sur la fiscalité, le pouvoir d’achat, les soignants. » Et Nicolas Sarkozy de préciser, lapidaire : « Si vous ne faites pas ça avant l’été, vous êtes mort. »
Pourtant, nombreux sont ceux qui font état des louanges adressées par Emmanuel Macron à son prédécesseur, dont l’avis clairvoyant, modelé par l’expérience de la crise de 2008, compterait « beaucoup pour lui ». « Plus il se montre élégant, plus il pense lui compliquer la tâche psychologiquement », conclut cet interlocuteur qui a travaillé au corps les deux leaders et qui est persuadé que la soif de pouvoir de l’ancien chef de l’Etat est inextinguible. A un ancien ministre avec lequel il déjeunait il y a quelques semaines, Nicolas Sarkozy aurait soufflé : « Il faudra bondir, mais au dernier moment. » Depuis 2013, celui-ci a toujours laissé planer le doute sur un hypothétique retour en cas de circonstances exceptionnelles. Et quoi de plus exceptionnel que la période actuelle ?