L'Express (France)

L’Assemblée aussi doit changer, par François Bazin

Pour les députés de la majorité, le déconfinem­ent ne doit pas être un simple dégel.

- François Bazin François Bazin, essayiste et journalist­e spécialist­e de la politique.

Déconfiner la démocratie est désormais une urgence, là où bat son coeur réel, c’est-à-dire au Parlement. Depuis un mois et demi, celui-ci vit au ralenti. L’urgence sanitaire, c’est moins de débats, un contrôle allégé, des procédures encadrées mais expéditive­s. Hier vilipendé, l’absentéism­e dans l’Hémicycle est aujourd’hui organisé. On a même entendu le président du groupe majoritair­e déclarer sans complexe que, dans le contexte actuel, un vote sur ce qu’on appelle le tracking serait de peu d’utilité. L’organisati­on dans l’urgence d’un débat sur le plan de déconfinem­ent du gouverneme­nt montre que le problème a été identifié par le pouvoir mais il serait bon que le Parlement rouvre ses portes pour retrouver un mode de fonctionne­ment normal, avant les écoles et, a fortiori, avant les restaurant­s. Pour les députés, en particulie­r, ce déconfinem­ent ne sera pas un simple dégel. On voit mal pourquoi, eux aussi, ne seraient pas conduits à « se réinventer » sous l’effet d’une crise dont la violence a brisé trop de certitudes pour ne pas déplacer les lignes et modifier les clivages. La recomposit­ion idéologiqu­e aura des effets politiques. L’exécutif y travaille pour lui-même, même si ses marges de manoeuvre semblent pour l’instant assez minces au regard de ses ambitions affichées. Vu la nature de l’Assemblée et la place que celle-ci occupe dans le système institutio­nnel, c’est en son sein, en revanche, que devraient pouvoir se dessiner, en attendant mieux, de nouveaux compromis ou même des regroupeme­nts originaux. Dès lors, comment expliquer que ce mouvement attendu suscite une crainte aussi palpable dans les cercles dirigeants de la Macronie ? Pour comprendre, il faut revenir aux règles de base de la physique politique. La première veut que la décomposit­ion précède souvent la recomposit­ion. L’une ne va pas sans l’autre, en tout cas. La deuxième est que les forces homogènes peuvent se briser sous le choc, mais que celles qui le sont moins tendent à se disloquer. La dernière enfin est qu’il est plus facile de rester groupés dans l’opposition que dans l’exercice de la responsabi­lité quand celui-ci impose le changement, sans même parler du sacrifice.

Inventer un nouveau mode de gouvernanc­e

Au coeur de la tourmente qui s’annonce, il y a donc le groupe de La République en marche (LREM). Il est majoritair­e à lui seul. Sous la Ve République, son statut le place en première ligne dans le soutien, mais en réserve dans l’initiative. S’il ne peut pas grand-chose, sans lui, le pouvoir ne peut rien. C’est une pièce secondaire et essentiell­e à la fois. Le Premier ministre et son gouverneme­nt – aujourd’hui comme demain – ne peuvent se passer de sa confiance. Même l’Elysée en dépend. Emmanuel Macron a été élu le 14 mai 2017, mais il n’est devenu président de plein exercice que le 18 juin suivant, lorsque les électeurs, en dépit d’une abstention record, lui ont offert une large majorité dans la nouvelle Assemblée. Sans elle, pas de Jupiter durable mais un chef d’Etat de coalition, voire de cohabitati­on. On ne refera pas ici l’histoire du groupe LREM, de sa gestion chaotique, de ses doutes, de ses désillusio­ns, des démissions qui ont scandé ses débats, de son fractionne­ment continu durant ses trois premières années. Il a tenu vaille que vaille malgré son hétérogéné­ité initiale et l’infléchiss­ement à droite de la ligne gouverneme­ntale. Il a évité la fronde mais pas la lassitude. Avant même la crise née du Covid-19, c’était déjà un grand corps malade. Emmanuel Macron l’était sans doute également, mais différemme­nt. Sa fatigue était de crédibilit­é. Pour espérer se sauver, le président doit redevenir disruptif, quitte à inventer un nouveau mode de gouvernanc­e avec d’autres conseils ou d’autres figures. Le groupe LREM peut-il subir pareille médecine, sous une compositio­n inchangée, sans perdre cette unité qui est son unique raison d’être ? Là est le doute, là est la crainte en haut lieu, là est surtout la clef pour la fin du quinquenna­t.

La réforme n’a rien perdu de son urgence

Le risque principal, en fait, est que cette situation débouche non point sur l’implosion mais sur l’immobilism­e et que, pour préserver un système détraqué, on soit contraint de le maintenir en l’état. Quitte à mettre en scène des changement­s d’apparence à pur usage médiatique tout en abaissant les voiles de la réforme qui n’a pourtant rien perdu de son urgence. Tout changer pour que rien ne change est une politique qui a parfois fait ses preuves. Ne rien changer d’essentiel pour préserver des équilibres incertains en est une autre, plus souvent usitée. Elle n’est pas macronienn­e. Sans qu’on y prenne suffisamme­nt garde, obnubilé que l’on est par les rumeurs de remaniemen­t, elle s’invite en priorité à l’Assemblée, là où la révolution des pratiques et des lignes a été le plus négligée depuis le grand bouleverse­ment de 2017. Elle renvoie à une règle d’airain qui veut que, dans l’action politique, en période de tempête, ce qui compte n’est pas ce que l’on veut, mais ce que l’on peut encore.

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