Extension du domaine de la Chine, par Bruno Tertrais
Pékin profite de la crise sanitaire pour pousser ses pions dans cette zone très disputée.
Ala mi-avril, une décision administrative en apparence anodine a été annoncée par Pékin : la création de deux districts régionaux placés sous l’autorité de la préfecture de Sansha, une ville sur l’une des îles Paracel, dans la province insulaire et méridionale de Hainan. Cette initiative n’a pas fait la Une des journaux, mais elle pourrait bien faire partie de ces étincelles qui, un jour, mettront le feu aux poudres de l’une des régions les plus explosives au monde : la mer de Chine méridionale. Une zone riche en ressources hauturières et en hydrocarbures, et un point de passage obligé pour une grande part du trafic maritime mondial. Depuis une dizaine d’années, la Chine revendique la quasi-totalité de cette mer, la considérant comme une sorte de lac intérieur, et trace sur ses cartes nationales un espace connu sous le nom de « langue de boeuf » délimité par une « ligne en neuf traits ». Contrôlant déjà les îles Paracel, le récif de Scarborough et une partie des îles Spratly, elle y pratique la poldérisation des récifs pour agrandir son territoire. Il s’agit d’abord de justifier leur caractère habitable, ce qui est valorisé par le droit de la mer. Mais aussi de les défendre et de mener des opérations militaires à partir de bases aériennes construites sur la mer. Contrairement aux normes du droit, Pékin considère que 80 % de la mer de Chine méridionale appartient à son territoire, ce qui revient à « nationaliser » des eaux internationales.
De surcroît, l’empire du Milieu revendique le droit d’exploiter les zones qui entourent ces prétendues eaux territoriales. Cinq pays s’opposent à cette stratégie. Les îles Spratly sont les plus disputées : elles sont briguées par les Philippines, le Vietnam, Brunei et la Malaisie. Deux autres contentieux opposent Pékin à ses voisins : les îles Paracel, revendiquées par le Vietnam, et le récif de Scarborough, qui l’est par les Philippines (et pour lequel la Cour permanente d’arbitrage de La Haye a statué en 2016 en faveur de Manille).
C’est pour gouverner les Paracel que la Chine a créé l’un des nouveaux districts régionaux (Xisha), l’autre étant destiné aux Spratly (Nansha). Tout à sa politique du fait accompli, elle refuse d’envisager que le « code de bonne conduite » en discussion depuis deux ans entre riverains puisse être juridiquement contraignant. Or cette décision intervient au moment d’un regain de tension avec le Vietnam, dont un navire a été éperonné par la Marine chinoise il y a quelques semaines, et avec la Malaisie, Pékin ayant envoyé au même moment un bâtiment de « recherche » dans des eaux disputées et riches en hydrocarbures.
Une crise géopolitique en puissance
Ce ne sont pas les seuls incidents relevés depuis le début de la crise du Covid-19. Mi-mars, des avions de l’armée de l’air chinoise ont franchi la frontière officieuse entre leur espace aérien et celui de Taïwan. Et, à la fin du mois, un bateau de pêche a heurté un destroyer japonais. Décidément, l’agressivité chinoise, au cours de cette pandémie, ne se limite pas à la diplomatie, et Pékin semble vouloir profiter de la crise pour avancer ses pions. Un haut gradé de l’Armée populaire de libération n’avait-il pas averti début février, dans une tribune publiée par le New York Times
– événement exceptionnel –, que la politique américaine dans cette zone pouvait conduire à un risque de guerre entre les deux pays ? Or le Pentagone veut montrer que les Etats-Unis ne se laisseront pas faire, et qu’en ces temps difficiles, ils maintiennent toute leur attention sur les évolutions stratégiques en Asie, notamment pour faire respecter le droit de libre navigation dans les eaux internationales. Deux navires de guerre américains sont d’ailleurs arrivés sur zone. C’est ainsi qu’indirectement, la crise sanitaire est susceptible d’aggraver les crises géopolitiques.