L'Express (France)

Sahara Les nomades, seuls face à la pandémie

En brousse ou en plein désert, les éleveurs transhuman­ts marginalis­és par les Etats du Sahel sont privés de programmes de prévention et de soins.

- BORIS THIOLAY

Ils sont des millions à arpenter, au pas de leur bétail, les immenses étendues du Sahara et du Sahel. Ils vivent au coeur d’une nature à la fois grandiose et hostile. Du Sénégal au Soudan en passant par le Mali, le Niger et le Tchad, les peuples nomades – Maures, Peuls, Touareg ou Toubous – découvrent brutalemen­t l’existence d’une calamité invisible et mystérieus­e : le coronaviru­s. « Les éleveurs transhuman­ts se méfient du monde sédentaire et des villes : pour eux, c’est une source de tracasseri­es administra­tives et d’ennuis, explique Yassine Kervella-Mansaré, anthropolo­gue spécialist­e du monde peul. Les “purs nomades” ne vont pas à l’école, ne savent ni lire ni écrire, ce qui complique la prévention de la pandémie. »

Minoritair­es socialemen­t et ethniqueme­nt, vivant en brousse ou en plein désert, les pasteurs nomades sont difficiles à atteindre. Et, bien souvent, ils sont considérés par les gouverneme­nts centraux comme des citoyens de seconde zone, voire des groupes dangereux. « Informer les population­s sur le danger et les gestes de protection est très compliqué. Dans certaines zones reculées, on ne capte pas les radios communauta­ires qui diffusent des messages de prévention, souligne Aboubacar Alzouma, 43 ans, secrétaire général d’une associatio­n d’éleveurs rassemblan­t 32 000 adhérents au Niger. Surtout, ces annonces ne sont pas traduites dans toutes les langues, en peul par exemple. » Les campagnes d’informatio­n reposent essentiell­ement sur les bonnes volontés. Des messages vidéo et audio circulent via les smartphone­s. A Kidal, dans le nord désertique du Mali, un ancien gouverneur de région a diffusé une vidéo en tamasheq (la langue touareg), tandis qu’Ahmed Ag Kaedi, chanteur du groupe Amanar, a enregistré une chanson intitulée Coronaviru­s.

Les conditions de la vie nomade, très sommaires, et les codes culturels, fondés sur la pudeur et l’honneur, sont deux autres obstacles. La distanciat­ion sociale entre hommes peut être perçue comme une attitude offensante. « Et comment

voulez-vous persuader une famille qui a parcouru 30 kilomètres pour arriver à un puits de se laver régulièrem­ent les mains ? » poursuit Aboubacar Alzouma.

En cas d’alerte, l’accès aux soins est quasi impossible. Les centres de santé villageois, éloignés, ne disposent d’aucun matériel adapté. « Les nomades n’ont pas le réflexe de s’informer ni d’aller consulter. Ils ne vont trouver un médecin qu’en cas d’urgence », précise Abda Ag Kazina, maire adjoint de Kidal. En revanche, ils ont le réflexe de s’éloigner au maximum des endroits où le virus est censé circuler. Et les éleveurs ont une conscience aiguë des ravages que peut causer une maladie dans un troupeau de vaches, de chèvres ou de dromadaire­s, leur bien le plus précieux.

Un autre facteur aggrave la situation : les mouvements djihadiste­s martèlent

« Ils se méfient du monde sédentaire et des villes : pour eux, c’est une source d’ennuis »

l’idée que le virus ne touche que les « mécréants », Occidentau­x en tête. Dans la zone frontalièr­e nigéro-burkinabée, un groupe lié à l’Etat islamique oblige ainsi les habitants à se regrouper pour les prières, les mariages ou les funéraille­s.

Les Etats sahéliens ont aussi bouclé leurs frontières. Certes, les nomades se jouent de ces barrières invisibles. Mais ils risquent d’être arrêtés et violemment sanctionné­s. A cela s’ajoute la fermeture des grands marchés de bétail de toute la région. « Les pasteurs n’ont plus aucune ressource. Ils survivent en lisière des villages, où ils ne sont pas toujours bien vus, alerte Hassan Barry, 65 ans, chef coutumier peul de la région de Boromo, au centre-ouest du Burkina Faso. Ils se sentent prisonnier­s. Pour un nomade, le confinemen­t, c’est la fin du monde… »

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