L'Express (France)

Turquie Erdogan s’accroche à la Corne de l’Afrique

- GUILLAUME PERRIER

La Turquie convoite l’exploitati­on des gisements de pétrole au large de Mogadiscio et multiplie les gestes de soutien militaire et financier à son égard.

Recep Tayyip Erdogan va-t-il jeter son dévolu sur la Somalie ? Ce pays de la Corne de l’Afrique, morcelé par plus de vingt-cinq années de guerre civile et d’insurrecti­ons séparatist­es et djihadiste­s, semble être la nouvelle porte d’entrée sur le continent pour le président turc. Fin janvier, de retour d’un sommet sur la Libye – où la Turquie appuie militairem­ent le gouverneme­nt de Tripoli en échange de droits d’exploratio­n de sites gaziers offshore –, Erdogan ne cachait pas ses intentions. « Les Somaliens nous disent : “Il y a du pétrole au large de nos côtes. Vous menez des opérations avec la Libye, mais vous pouvez également le faire ici.” C’est très important pour nous », avait-il alors lâché devant plusieurs journalist­es qui l’accompagna­ient dans l’avion présidenti­el. « Nous prendrons vite des décisions pour débuter nos opérations là-bas, nous pouvons en tirer un grand bénéfice », avait-il poursuivi.

Déjà très dépendant de ses fournisseu­rs en hydrocarbu­res, le régime d’Ankara l’est plus encore depuis la crise économique réapparue l’an dernier. « En temps normal, le gouverneme­nt turc a un besoin désespéré de ressources énergétiqu­es pour faire tourner son économie », souligne l’universita­ire Doga Eralp, spécialist­e des relations internatio­nales à l’American University de Washington. D’où cet attrait renforcé pour un pays aussi instable et déshérité que la Somalie. Le ministre somalien des Ressources minérales, Abdirashid Mohamed Ahmed, a en effet annoncé, en octobre dernier, que son pays allait lancer des appels d’offres pour l’exploratio­n et la production de pétrole sur 15 « blocs » offshore, qui intéressen­t déjà des compagnies comme Shell ou ExxonMobil. Début janvier, la Somalie a modifié la loi pour permettre l’entrée de nouveaux investisse­urs étrangers dans le pays. Or la Turquie est un partenaire stratégiqu­e de la Somalie depuis 2011. Cette année-là, alors que la famine sévissait dans le pays, Erdogan

s’était rendu en famille à Mogadiscio, capitale en ruine, pour y lancer la constructi­on de six hôpitaux et y rouvrir une ambassade. Un programme d’aide et de coopératio­n avait été mis en place : le gouverneme­nt turc avait alors investi pour près de 92 millions d’euros dans le pays, devenant l’un des principaux pourvoyeur­s d’aide au développem­ent et humanitair­e, pour un montant annoncé d’environ 460 millions d’euros. En 2015, Erdogan y était retourné pour inaugurer l’aéroport « des Turcs », construit et toujours géré par un consortium d’Istanbul. « Bienvenue dans votre seconde patrie », avait alors lancé le président somalien d’alors, Hassan Cheikh Mohamoud, en accueillan­t le « reis ».

Cette politique d’assistance s’est peu à peu muée en soutien militaire. En septembre 2017, la Turquie a inauguré, près de l’aéroport, sa plus grande base militaire à l’étranger. Les forces de police et l’armée somalienne viennent s’y former, pour combattre les « shebab », affiliés à Al-Qaeda, chassés de Mogadiscio en 2011, ainsi que d’autres groupes armés rivaux de ceux qui soutiennen­t le pouvoir central.

Cela a d’ailleurs valu à la Turquie de voir ses intérêts et ses ressortiss­ants pris pour cible. Mais toutes ces démonstrat­ions de puissance militaire et financière renforcent le prestige d’Ankara en Afrique et dans le monde musulman. Pour l’or noir, il faudra toutefois patienter. La prospectio­n pétrolière au large des côtes somalienne­s, prévue pour être lancée cette année, risque d’être retardée. L’effondreme­nt des cours du pétrole la rend moins urgente. Mais, à terme, le sujet reste stratégiqu­e pour la Turquie.

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