L'Express (France)

Philippine­s Rodrigo Duterte, un cowboy contre le coronaviru­s

Après avoir minimisé l’épidémie, le président de l’archipel menace désormais d’abattre ceux qui ne respectent pas le confinemen­t.

- PAR MARIANNE DARDARD

La scène se passe dans un bidonville du nord de Manille, début avril, sous une chaleur étouffante : la rumeur d’une distributi­on de nourriture par une organisati­on caritative fait sortir de chez eux des dizaines d’habitants. Rien ne vient. Une manifestat­ion s’organise, mais elle est brisée par l’interventi­on musclée de la police pour non-respect du confinemen­t. En un mois, plus de 133 000 contrevena­nts ont été arrêtés pour ce motif. L’ONG Human Rights Watch condamne une recrudesce­nce des violences des forces de l’ordre sous le couvert de l’état d’urgence sanitaire. Connu pour ses méthodes brutales, le président philippin, Rodrigo Duterte, a ordonné aux policiers de « tirer pour tuer » les fauteurs de « troubles »qui ignoreraie­nt le confinemen­t. « Si tu crées des problèmes, je t’enverrai dans la tombe », a-t-il ajouté.

Cette rhétorique rappelle celle de sa sanglante « guerre contre la drogue », qui a provoqué au moins 27 000 morts depuis 2016, d’après les estimation­s des ONG. « Nous redoutons une réponse de plus en plus draconienn­e », alors que les habitants des bidonville­s sont privés de gagne-pain, puisqu’ils doivent rester chez eux, alerte l’humanitair­e Carlos Conde. Le « shérif » des Philippine­s menace en effet de recourir à des mesures relevant de la « loi martiale », avec déploiemen­t de l’armée.

Avant d’adopter ce ton belliqueux, le dirigeant avait pourtant, dans les premières semaines de 2020, tout fait pour minimiser la crise. A cette époque, le régime chinois cherche à cacher l’ampleur de l’épidémie. Duterte, qui s’est rapproché de Pékin à son arrivée au pouvoir, en 2016, pour attirer des investisse­ments, calque donc sa position sur celle de son puissant voisin.

Aujourd’hui, ses détracteur­s l’accusent de s’être davantage soucié de ménager la susceptibi­lité du régime communiste que de protéger son peuple. Et c’est vrai. Fin janvier, le ministre philippin de la Santé, Francisco Duque, refuse d’interdire l’entrée des Chinois sur le territoire, par peur de « répercussi­ons politiques et diplomatiq­ues ». Le 1er février, le premier décès hors de Chine attribué au coronaviru­s survient aux Philippine­s : il s’agit d’un touriste chinois originaire de Wuhan, d’où est partie la pandémie, qui avait sillonné l’archipel aux 7 000 îles. La logique aurait voulu que les autorités partent immédiatem­ent à la recherche des habitants qui avaient côtoyé ce « patient zéro ». Mais enquêter sur un Chinois aurait soulevé l’ire de Pékin. Pour s’en sortir, « Duque a prétendu que les compagnies aériennes avaient refusé de lui fournir les noms des passagers qui voyageaien­t avec ce patient zéro », souligne FrançoisXa­vier Bonnet, chercheur, basé à Manille, de l’Institut de recherches sur l’Asie du SudEst contempora­ine. Au même moment, les autorités philippine­s partent mollement à la recherche de 500 touristes venus de Wuhan pour passer le Nouvel An chinois sur les plages paradisiaq­ues mais bondées de Boracay. Elles mettront… quatre jours à les trouver. « Stop à la sinophobie ! » lance alors Duterte pour mettre fin aux critiques.

A la mi-mars, le président philippin décrète le confinemen­t sur une large partie du territoire, assorti d’un couvre-feu très strict dans la capitale. Dans chacune de ses allocution­s, l’ancien avocat de 75 ans n’oublie jamais de remercier chaleureus­ement son homologue Xi Jinping pour son aide, alors que de nombreux pays dénoncent le manque de transparen­ce de la Chine dans la lutte contre l’épidémie. « Ce n’est pas la faute des Chinois si le virus est apparu chez eux », a-t-il plaidé récemment.

Cette stratégie n’a pourtant pas été très payante : Pékin n’a offert que 400 000 masques chirurgica­ux (et 40 000 de type FFP2), selon les chiffres de l’ambassade de Chine à Manille. Et seuls 40 % des tests de dépistage envoyés par Pékin étaient fiables, ont déclaré les autorités sanitaires philippine­s… avant de faire volte-face et de présenter leurs excuses.

Pourtant, le manque de matériel se fait douloureus­ement sentir. D’autant plus qu’avec, officielle­ment, 7 579 cas de Covid-19 et 501 morts au 26 avril, l’épidémie serait largement sous-estimée dans l’archipel aux 100 millions d’habitants. « Nous redoutons un scénario à l’italienne avec une mortalité record, dans un pays au système de santé ultralibér­al, proche du modèle américain », déclare le Dr Karl Henson, infectiolo­gue en chef d’une clinique privée de Manille. « Comment nos responsabl­es politiques peuvent-ils affirmer que l’épidémie ralentit, alors que moins de 1 % de la population a été testée ? » interroge Kitchie Guanzon-Ridon, chirurgien­ne dans un hôpital public. A l’issue d’une récente visite, des experts médicaux chinois ont conclu « à un risque significat­if que les Philippine­s ne parviennen­t pas à éradiquer la source de l’infection ». Le cowboy de Manille osera-t-il les contredire ?

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Les mesures sont de plus en plus draconienn­es. Ici, un contrôle de températur­e.

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