Joseph Oughourlian, l’homme qui défie Lagardère
A la tête d’Amber Capital, premier actionnaire du groupe d’édition, ce Français veut prendre le pouvoir lors de la prochaine assemblée générale. Face à lui, la riposte s’organise.
C’est dans le quartier chic de South Kensington, à Londres, où il est confiné avec sa famille, que Joseph Oughourlian prépare son combat. Avec une date en tête, le 5 mai. Ce jour-là, dans le secret d’une assemblée générale à huis clos, le créateur du fonds d’investissement Amber Capital ambitionne de mettre K.-O. Arnaud Lagardère, le patron du groupe qui porte son nom. Des mois qu’il se prépare à cet affrontement, avec un objectif : faire sauter la commandite, ce système rare dans les entreprises cotées, qui protège « l’héritier ».
Mercredi 22 avril, lorsqu’il accorde une interview à L’Express, l’homme est sous pression, mais lâche ses coups. « Lagardère est un des plus mauvais managers de sa génération. Il a liquidé le groupe et s’est versé un demi-milliard de dividendes », martèle-t-il derrière son écran d’ordinateur. Et le financier de répéter les chiffres : le groupe ne vaut plus que 2 milliards d’euros, 3 fois moins qu’à la mort de Jean-Luc Lagardère, en 2003. Après avoir investi plus de 300 millions d’euros dans Lagardère en quatre ans, Joseph Oughourlian en est devenu le premier actionnaire avec 18 % des parts. Alors, en vue du choc final, le financier de 48 ans passe son temps à appeler les petits actionnaires (50 % des voix), pour les convaincre de renverser le conseil de surveillance actuel et d’imposer son casting. Des batailles épiques, ce Français d’origines arménienne et libanaise, passé par Sciences po et HEC, propriétaire du Racing Club de Lens, en a connues. Comme en 2014 lorsqu’il a réussi à faire tomber Frédéric Vincent, le PDG du fabricant de câbles électriques Nexans. « Je suis un financier activiste, rappelle-t-il, un léger sourire aux lèvres, je n’ai pas de problème avec ça. » Son fonds, Amber Capital, créé en 2005, est doté de plus de 1,5 milliard d’euros d’actifs, surtout investis en Europe. « Il est un peu moins agressif [que le fonds] Elliott. Mais il attend toujours son retour sur investissement », note Gilles Mentré, ancien associé de Lazard. Sa méthode : « Il analyse les situations de façon chirurgicale, c’est un animal à sang froid, un tueur », poursuit Olivier Létang, qui a côtoyé le patron du RC Lens quand luimême dirigeait le Stade rennais. Sauf qu’aujourd’hui il s’attaque à une grosse proie. Certes, Arnaud Lagardère est acculé, mais il a encore des soutiens. Car, en chargeant « l’héritier », c’est une partie du capitalisme français qu’il défie.
Cet hiver, alors qu’Amber grimpait petit à petit au capital du groupe français, le clan Lagardère a préparé sa riposte et renforcé ses défenses en nommant successivement au conseil de surveillance Nicolas Sarkozy et l’ancien PDG de la SNCF Guillaume Pepy, des proches du Qatar, l’autre actionnaire de référence
(13 %). Ces derniers jours, ce sont Vincent Bolloré et Marc Ladreit de Lacharrière qui, à leur tour, ont volé au secours d’Arnaud Lagardère. En prenant, le 20 avril, via Vivendi, 10,6 % du capital, Vincent Bolloré a rétabli le rapport des forces. « Oughourlian a beau être un fin calculateur, il a sous-estimé la partie », décrypte un banquier d’affaires. « Vivendi vient de lever 3 milliards de cash sur la vente de 10 % d’Universal Music, c’est un mastodonte qui peut racheter tout Lagardère. C’est un adversaire de taille », reconnaît Oughourlian, qui sait de quoi il parle. Il a déjà vu Bolloré à l’oeuvre avec Havas et Mediobanca.
Pour Joseph Oughourlian, cette fois, le Breton veut réaliser une plus-value en achetant des actions Lagardère à bas coût. Mais aussi s’adjuger des joyaux du groupe (Hachette, Europe 1, Paris Match). « Quand il a ses griffes sur une proie, difficile de s’en sortir », admet le patron d’Amber. Sa bataille contre Lagardère est presque devenue une question d’honneur. Il s’inspire de son modèle, le magnat du capitalisme italien Carlo De Benedetti, l’adversaire historique de Berlusconi, dont il admire l’indépendance. Cette liberté d’esprit, il la tient aussi de son père, neuropsychiatre respecté, qui a exploré les champs du « désir » et de la « rivalité ». Aujourd’hui, le fils met en pratique les travaux théoriques paternels… Non sans risquer la défaite.