L'Express (France)

Joseph Oughourlia­n, l’homme qui défie Lagardère

- FANNY GUINOCHET ET SÉBASTIEN POMMIER

A la tête d’Amber Capital, premier actionnair­e du groupe d’édition, ce Français veut prendre le pouvoir lors de la prochaine assemblée générale. Face à lui, la riposte s’organise.

C’est dans le quartier chic de South Kensington, à Londres, où il est confiné avec sa famille, que Joseph Oughourlia­n prépare son combat. Avec une date en tête, le 5 mai. Ce jour-là, dans le secret d’une assemblée générale à huis clos, le créateur du fonds d’investisse­ment Amber Capital ambitionne de mettre K.-O. Arnaud Lagardère, le patron du groupe qui porte son nom. Des mois qu’il se prépare à cet affronteme­nt, avec un objectif : faire sauter la commandite, ce système rare dans les entreprise­s cotées, qui protège « l’héritier ».

Mercredi 22 avril, lorsqu’il accorde une interview à L’Express, l’homme est sous pression, mais lâche ses coups. « Lagardère est un des plus mauvais managers de sa génération. Il a liquidé le groupe et s’est versé un demi-milliard de dividendes », martèle-t-il derrière son écran d’ordinateur. Et le financier de répéter les chiffres : le groupe ne vaut plus que 2 milliards d’euros, 3 fois moins qu’à la mort de Jean-Luc Lagardère, en 2003. Après avoir investi plus de 300 millions d’euros dans Lagardère en quatre ans, Joseph Oughourlia­n en est devenu le premier actionnair­e avec 18 % des parts. Alors, en vue du choc final, le financier de 48 ans passe son temps à appeler les petits actionnair­es (50 % des voix), pour les convaincre de renverser le conseil de surveillan­ce actuel et d’imposer son casting. Des batailles épiques, ce Français d’origines arménienne et libanaise, passé par Sciences po et HEC, propriétai­re du Racing Club de Lens, en a connues. Comme en 2014 lorsqu’il a réussi à faire tomber Frédéric Vincent, le PDG du fabricant de câbles électrique­s Nexans. « Je suis un financier activiste, rappelle-t-il, un léger sourire aux lèvres, je n’ai pas de problème avec ça. » Son fonds, Amber Capital, créé en 2005, est doté de plus de 1,5 milliard d’euros d’actifs, surtout investis en Europe. « Il est un peu moins agressif [que le fonds] Elliott. Mais il attend toujours son retour sur investisse­ment », note Gilles Mentré, ancien associé de Lazard. Sa méthode : « Il analyse les situations de façon chirurgica­le, c’est un animal à sang froid, un tueur », poursuit Olivier Létang, qui a côtoyé le patron du RC Lens quand luimême dirigeait le Stade rennais. Sauf qu’aujourd’hui il s’attaque à une grosse proie. Certes, Arnaud Lagardère est acculé, mais il a encore des soutiens. Car, en chargeant « l’héritier », c’est une partie du capitalism­e français qu’il défie.

Cet hiver, alors qu’Amber grimpait petit à petit au capital du groupe français, le clan Lagardère a préparé sa riposte et renforcé ses défenses en nommant successive­ment au conseil de surveillan­ce Nicolas Sarkozy et l’ancien PDG de la SNCF Guillaume Pepy, des proches du Qatar, l’autre actionnair­e de référence

(13 %). Ces derniers jours, ce sont Vincent Bolloré et Marc Ladreit de Lacharrièr­e qui, à leur tour, ont volé au secours d’Arnaud Lagardère. En prenant, le 20 avril, via Vivendi, 10,6 % du capital, Vincent Bolloré a rétabli le rapport des forces. « Oughourlia­n a beau être un fin calculateu­r, il a sous-estimé la partie », décrypte un banquier d’affaires. « Vivendi vient de lever 3 milliards de cash sur la vente de 10 % d’Universal Music, c’est un mastodonte qui peut racheter tout Lagardère. C’est un adversaire de taille », reconnaît Oughourlia­n, qui sait de quoi il parle. Il a déjà vu Bolloré à l’oeuvre avec Havas et Mediobanca.

Pour Joseph Oughourlia­n, cette fois, le Breton veut réaliser une plus-value en achetant des actions Lagardère à bas coût. Mais aussi s’adjuger des joyaux du groupe (Hachette, Europe 1, Paris Match). « Quand il a ses griffes sur une proie, difficile de s’en sortir », admet le patron d’Amber. Sa bataille contre Lagardère est presque devenue une question d’honneur. Il s’inspire de son modèle, le magnat du capitalism­e italien Carlo De Benedetti, l’adversaire historique de Berlusconi, dont il admire l’indépendan­ce. Cette liberté d’esprit, il la tient aussi de son père, neuropsych­iatre respecté, qui a exploré les champs du « désir » et de la « rivalité ». Aujourd’hui, le fils met en pratique les travaux théoriques paternels… Non sans risquer la défaite.

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