L'Express (France)

Des médicament­s pour prévenir le Covid-19

Nicotine, hydroxychl­oroquine, antibiotiq­ues... Ces molécules permettrai­ent d’éviter de tomber malade. Les premiers résultats des essais sont attendus dès cet été.

- PAR STÉPHANIE BENZ

Commençons par un avertissem­ent. Rien dans cet article ne doit conduire les lecteurs à se précipiter pour acheter patchs de nicotine, boîtes de Plaquénil ou d’antibiotiq­ues. Toutes les pistes qui vont être évoquées ici restent des hypothèses, actuelleme­nt testées dans le cadre d’essais cliniques, et les premiers résultats ne seront pas connus avant juillet. Mais il n’empêche : à l’heure où un éventuel vaccin arrivera au mieux en 2021, et où le risque de nouvelles vagues épidémique­s est bien réel, la «chimioprop­hylaxie» suscite un intérêt grandissan­t.Derrière ce nom compliqué se cache un concept simple : la prise d’un médicament pour bloquer l’infection par le SarsCOV2 et éviter de tomber malade.

L’idée n’a rien de farfelu. Elle est déjà appliquée depuis longtemps contre le paludisme, avec la chloroquin­e, ou contre le sida avec la « prep » (pour « prophylaxi­e préexposit­ion »), qui empêche le virus de pénétrer les cellules des personnes exposées. Dans le cas du Covid19, le médicament pourrait être pris au long cours, par les profession­nels de santé par exemple, ou de façon ponctuelle, après une exposition. « Imaginez qu’après le déconfinem­ent des cas apparaisse­nt dans un lieu clos, comme une usine. Tout le personnel pourrait être traité, pour empêcher l’épidémie de se propager davantage », indique Nicholas White, professeur de médecine tropicale aux université­s d’Oxford (RoyaumeUni) et de Mahidol (Thaïlande). Ce chercheur lance cette semaine un essai à très grande échelle sur des soignants dans plusieurs pays asiatiques (40 000 participan­ts attendus), avec le soutien notamment de la Fondation Bill et Melinda Gates.

« Si ces stratégies se révèlent efficaces, elles pourraient ensuite s’appliquer à toutes les population­s exposées à un risque d’infection élevé », souligne un porteparol­e de l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS), qui a apporté son soutien à cette « troisième voie » dès février. Depuis, ces experts suivent de près la cinquantai­ne d’essais cliniques déjà lancés à travers le monde, dont trois en France. Beaucoup recourent à la chloroquin­e ou à l’hydroxychl­oroquine, ou encore à l’antiVIH Kaletra. Des molécules qui peinent toutefois à faire la preuve de leur efficacité pour traiter les malades atteints du Covid19. Serontelle­s plus utiles dans la prévention de la maladie ? « Il y a un principe intangible dans les pathologie­s infectieus­es : plus on traite tôt, plus grandes sont les chances d’obtenir un résultat », souligne le Pr Nicholas White.

Au tout début de l’infection, la quantité d’agents pathogènes à éliminer est en effet très faible, alors qu’il peut y avoir des milliards de virus dans l’organisme quand la maladie est déclarée. Il se pourrait donc même qu’un produit totalement inefficace en curatif apporte un bénéfice en prévention : « L’AZT, un des premiers antiviraux testés en vain contre le VIH, a ensuite été utilisé pour limiter les transmissi­ons mèreenfant au moment de l’accoucheme­nt », souligne le Pr Bruno Hoen, directeur de la recherche médicale à l’Institut Pasteur et responsabl­e scientifiq­ue d’une étude menée en partenaria­t avec des CHU pour évaluer le Kaletra et l’hydroxychl­oroquine en prophylaxi­e.

Les chercheurs craignent toutefois à présent un retour de bâton sur cette dernière molécule, alors que les études

curatives négatives commencent à se multiplier. Ils anticipent des difficulté­s pour trouver des volontaire­s afin de mener leurs travaux : « L’enthousias­me comme les critiques n’ont pas de sens. Nous avons besoin de données sur de grandes population­s pour tirer des conclusion­s, et c’est justement ce que nous allons faire », plaide le Pr Nicholas White. Pour ce qui concerne la prophylaxi­e, une première indication pourrait toutefois venir de l’analyse de la contaminat­ion par le coronaviru­s des patients atteints de lupus : « Cette pathologie chronique est traitée par le Plaquénil, et des études sont en cours sur cette population, mais rien n’a encore été publié », indique le Pr JeanMarc Tréluyer, chef du service de pharmacolo­gie clinique de l’hôpital Cochin, à Paris.

En parallèle de l’hydroxychl­oroquine (et non en même temps, pour limiter le risque d’effets secondaire­s cardiaques), ce chercheur teste également sur des personnels des hôpitaux parisiens un antibiotiq­ue, l’azithromyc­ine. Si les propriétés antivirale­s de ce médicament qui stimule aussi l’immunité sont connues, l’idée de l’utiliser en prophylaxi­e a été confortée par une observatio­n étonnante : « Les patients atteints de mucoviscid­ose, qui se trouvent souvent traités avec ce produit, sont rarement atteints par le Covid », indique le Pr JeanMarc Tréluyer. Pneumologu­e à l’hôpital Cochin, le Pr PierreRégi­s Burgel confirme : « C’est une surprise, car ces malades sont très souvent touchés par la grippe. Il s’agit d’une population plutôt jeune, mais cela ne suffit pas à expliquer que le coronaviru­s les épargne, et il semble également peu probable que les caractéris­tiques de la maladie jouent. »

Et à présent, les pistes se multiplien­t – le Pr JeanMarc Tréluyer s’apprête par exemple à tester deux nouveaux médicament­s dans le cadre de son essai. Par ailleurs, l’observatio­n des patients hospitalis­és en réanimatio­n a donné lieu à une autre découverte étonnante : les fumeurs sont sousreprés­entés parmi les malades séjournant dans ces services. Une étude récente de l’Institut Pasteur montre aussi qu’ils sont moins souvent infectés. De toutes les molécules contenues dans les cigarettes, ce serait la nicotine qui protégerai­t du Covid19. L’hypothèse : en se fixant sur le récepteur cellulaire normalemen­t utilisé par le coronaviru­s pour pénétrer dans les cellules, cette molécule l’empêcherai­t de s’y arrimer. Pour en savoir plus, une équipe de la PitiéSalpê­trière, à Paris, va lancer un essai dans lequel l’effet préventif de la nicotine sera notamment testé sur des soignants volontaire­s. Ils se verront appliquer des patchs normalemen­t destinés au sevrage tabagique. La cigarette restant elle, quoi qu’il en soit, proscrite.

Une chose est sûre : même si l’une de ces pistes se montre efficace, la protection ne sera pas totale. « A 25 % d’efficacité, cela signifiera­it que 1 personne sur 4 qui est traitée se verrait épargnée par la maladie, alors qu’elle aurait dû être touchée », explicite le Pr Nicholas White. De quoi mettre tout de même un petit obstacle sur la trajectoir­e du virus, et nous donner peutêtre enfin une arme, même de faible calibre, pour affronter dans de meilleures conditions de probables nouvelles vagues épidémique­s.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France