Des médicaments pour prévenir le Covid-19
Nicotine, hydroxychloroquine, antibiotiques... Ces molécules permettraient d’éviter de tomber malade. Les premiers résultats des essais sont attendus dès cet été.
Commençons par un avertissement. Rien dans cet article ne doit conduire les lecteurs à se précipiter pour acheter patchs de nicotine, boîtes de Plaquénil ou d’antibiotiques. Toutes les pistes qui vont être évoquées ici restent des hypothèses, actuellement testées dans le cadre d’essais cliniques, et les premiers résultats ne seront pas connus avant juillet. Mais il n’empêche : à l’heure où un éventuel vaccin arrivera au mieux en 2021, et où le risque de nouvelles vagues épidémiques est bien réel, la «chimioprophylaxie» suscite un intérêt grandissant.Derrière ce nom compliqué se cache un concept simple : la prise d’un médicament pour bloquer l’infection par le SarsCOV2 et éviter de tomber malade.
L’idée n’a rien de farfelu. Elle est déjà appliquée depuis longtemps contre le paludisme, avec la chloroquine, ou contre le sida avec la « prep » (pour « prophylaxie préexposition »), qui empêche le virus de pénétrer les cellules des personnes exposées. Dans le cas du Covid19, le médicament pourrait être pris au long cours, par les professionnels de santé par exemple, ou de façon ponctuelle, après une exposition. « Imaginez qu’après le déconfinement des cas apparaissent dans un lieu clos, comme une usine. Tout le personnel pourrait être traité, pour empêcher l’épidémie de se propager davantage », indique Nicholas White, professeur de médecine tropicale aux universités d’Oxford (RoyaumeUni) et de Mahidol (Thaïlande). Ce chercheur lance cette semaine un essai à très grande échelle sur des soignants dans plusieurs pays asiatiques (40 000 participants attendus), avec le soutien notamment de la Fondation Bill et Melinda Gates.
« Si ces stratégies se révèlent efficaces, elles pourraient ensuite s’appliquer à toutes les populations exposées à un risque d’infection élevé », souligne un porteparole de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a apporté son soutien à cette « troisième voie » dès février. Depuis, ces experts suivent de près la cinquantaine d’essais cliniques déjà lancés à travers le monde, dont trois en France. Beaucoup recourent à la chloroquine ou à l’hydroxychloroquine, ou encore à l’antiVIH Kaletra. Des molécules qui peinent toutefois à faire la preuve de leur efficacité pour traiter les malades atteints du Covid19. Serontelles plus utiles dans la prévention de la maladie ? « Il y a un principe intangible dans les pathologies infectieuses : plus on traite tôt, plus grandes sont les chances d’obtenir un résultat », souligne le Pr Nicholas White.
Au tout début de l’infection, la quantité d’agents pathogènes à éliminer est en effet très faible, alors qu’il peut y avoir des milliards de virus dans l’organisme quand la maladie est déclarée. Il se pourrait donc même qu’un produit totalement inefficace en curatif apporte un bénéfice en prévention : « L’AZT, un des premiers antiviraux testés en vain contre le VIH, a ensuite été utilisé pour limiter les transmissions mèreenfant au moment de l’accouchement », souligne le Pr Bruno Hoen, directeur de la recherche médicale à l’Institut Pasteur et responsable scientifique d’une étude menée en partenariat avec des CHU pour évaluer le Kaletra et l’hydroxychloroquine en prophylaxie.
Les chercheurs craignent toutefois à présent un retour de bâton sur cette dernière molécule, alors que les études
curatives négatives commencent à se multiplier. Ils anticipent des difficultés pour trouver des volontaires afin de mener leurs travaux : « L’enthousiasme comme les critiques n’ont pas de sens. Nous avons besoin de données sur de grandes populations pour tirer des conclusions, et c’est justement ce que nous allons faire », plaide le Pr Nicholas White. Pour ce qui concerne la prophylaxie, une première indication pourrait toutefois venir de l’analyse de la contamination par le coronavirus des patients atteints de lupus : « Cette pathologie chronique est traitée par le Plaquénil, et des études sont en cours sur cette population, mais rien n’a encore été publié », indique le Pr JeanMarc Tréluyer, chef du service de pharmacologie clinique de l’hôpital Cochin, à Paris.
En parallèle de l’hydroxychloroquine (et non en même temps, pour limiter le risque d’effets secondaires cardiaques), ce chercheur teste également sur des personnels des hôpitaux parisiens un antibiotique, l’azithromycine. Si les propriétés antivirales de ce médicament qui stimule aussi l’immunité sont connues, l’idée de l’utiliser en prophylaxie a été confortée par une observation étonnante : « Les patients atteints de mucoviscidose, qui se trouvent souvent traités avec ce produit, sont rarement atteints par le Covid », indique le Pr JeanMarc Tréluyer. Pneumologue à l’hôpital Cochin, le Pr PierreRégis Burgel confirme : « C’est une surprise, car ces malades sont très souvent touchés par la grippe. Il s’agit d’une population plutôt jeune, mais cela ne suffit pas à expliquer que le coronavirus les épargne, et il semble également peu probable que les caractéristiques de la maladie jouent. »
Et à présent, les pistes se multiplient – le Pr JeanMarc Tréluyer s’apprête par exemple à tester deux nouveaux médicaments dans le cadre de son essai. Par ailleurs, l’observation des patients hospitalisés en réanimation a donné lieu à une autre découverte étonnante : les fumeurs sont sousreprésentés parmi les malades séjournant dans ces services. Une étude récente de l’Institut Pasteur montre aussi qu’ils sont moins souvent infectés. De toutes les molécules contenues dans les cigarettes, ce serait la nicotine qui protégerait du Covid19. L’hypothèse : en se fixant sur le récepteur cellulaire normalement utilisé par le coronavirus pour pénétrer dans les cellules, cette molécule l’empêcherait de s’y arrimer. Pour en savoir plus, une équipe de la PitiéSalpêtrière, à Paris, va lancer un essai dans lequel l’effet préventif de la nicotine sera notamment testé sur des soignants volontaires. Ils se verront appliquer des patchs normalement destinés au sevrage tabagique. La cigarette restant elle, quoi qu’il en soit, proscrite.
Une chose est sûre : même si l’une de ces pistes se montre efficace, la protection ne sera pas totale. « A 25 % d’efficacité, cela signifierait que 1 personne sur 4 qui est traitée se verrait épargnée par la maladie, alors qu’elle aurait dû être touchée », explicite le Pr Nicholas White. De quoi mettre tout de même un petit obstacle sur la trajectoire du virus, et nous donner peutêtre enfin une arme, même de faible calibre, pour affronter dans de meilleures conditions de probables nouvelles vagues épidémiques.